Comme en témoigne encore aujourd’hui le patrimoine architectural subsistant, les Sallandrouze font partie des familles les plus illustres dans l’industrie des tapis, de la moquette et de la tapisserie à Aubusson. Toutefois, nous devons distinguer les deux branches de la famille connue sous le nom des Sallandrouze : d’une part, les Sallandrouze de Lamornaix, actifs du début du XIXe siècle jusqu’aux années 1870, et d’autre part les Sallandrouze Lemoullec, dont l’activité s’exerce du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1990.
Sallandrouze de Lamornaix
Jean Sallandrouze de Lamornaix est le premier membre de la famille à connaître un succès conséquent dans l’industrie du tapis et de la tapisserie. Ainsi, dès la première exposition nationale des produits de l’industrie à Paris en 1802, l’entreprise Rogier et Sallandrouze, née de l’association entre Jean Sallandrouze de Lamornaix et le maire d’Aubusson Guillaume Rogier, est récompensée. En plus de sa manufacture alors située sur l’actuel emplacement de la manufacture Saint-Jean à Aubusson, Jean Sallandrouze de Lamornaix ouvre une manufacture de tapis velours dans le quartier du Marais, à Paris. Son fils, Charles Sallandrouze de Lamornaix, prend ensuite la succession de l’entreprise à partir de 1826 et devient un industriel important au XIXe siècle. En parallèle des ateliers à Aubusson, il acquiert l’hôtel Montholon à Paris pour y installer une boutique dans le nouveau quartier à la mode des Grands Boulevards. Charles Sallandrouze de Lamornaix est aussi impliqué dans la politique et est élu conseiller général de la Creuse à partir de 1841, député à plusieurs reprises à partir de 1846, et enfin maire d’Aubusson. Il publie également plusieurs ouvrages dont les Considérations sur la législation des brevets d’invention, en 1829. Charles Sallandrouze de Lamornaix participe activement aux expositions universelles du XIXe siècle. À cet effet, en 1851 à Londres, il est commissaire général et, à ce titre, responsable de la direction française de l’exposition par délégation. En 1855, il est vice-président du jury à l’exposition universelle parisienne.
À la mort de Charles Sallandrouze de Lamornaix, le fils du fabricant, Octave Sallandrouze de Lamornaix prend la succession de l’entreprise. Ses tapis et tapisseries rencontrent également un vif succès à l’exposition universelle de 1867. Après la défaite de la France face à la Prusse en 1870, dans un contexte de crise économique, l’usine Sallandrouze de Lamornaix ferme en 1872. Ses bâtiments sont rachetés par la famille Hamot, qui y développe une prestigieuse manufacture de tapis et tapisseries qui deviendra plus tard la Manufacture Saint-Jean.
Sallandrouze Lemoullec
Dans la branche cadette de la famille des Sallandrouze, nous trouvons le cousin de Charles Sallandrouze de Lamornaix, Alexis Sallandrouze. Celui-ci est connu pour la célèbre Tapisserie à l’éléphant, actuellement conservée au musée du Louvre. Un autre cousin de Charles Sallandrouze de Lamornaix, Jean-Jacques Sallandrouze Lemoullec, connaît un succès retentissant dans l’entreprise qu’il avait créée avec Charles Sallandrouze. Ils remportent ainsi des médailles d’argent aux expositions universelles de 1855 et de 1867 sous le nom de Sallandrouze Jean-Jacques et Charles, puis de Jean-Jacques Sallandrouze père et fils. Ils industrialisent la production de tapis mécaniques et de moquettes, grâce à l’installation de métiers à vapeur alimentés par l’eau de la Creuse. Les ateliers de production, installés dans un premier temps à Felletin, sont déplacés à Aubusson. L’entreprise qui prend ensuite le nom de Sallandrouze frères, remporte de grandes médailles aux expositions universelles de 1878 et de 1889. Elle fait construire un imposant bâtiment en L pour abriter les moulins hydrauliques Mirabeau utilisés pour la filature à Felletin. Sallandrouze frères localisent ensuite la totalité de leur production à Aubusson, dans la nouvelle usine construite en 1885 dans le quartier Saint-Jean. L’entreprise, qui emploie 800 ouvriers à la fin du XIXe siècle, produit des tapis et des moquettes uniquement sur des métiers mécaniques.
Au XXe siècle, l’usine est alimentée par l’énergie provenant de la centrale hydro-électrique de la Croix Blanche et du barrage des Combes*. À partir des années 1920, d’exceptionnels sheds en béton à toitures courbes sont construits par la société fondée par l’ingénieur béton armé François Hennebique, véritable précurseur de l’architecture béton. L’entreprise est ensuite partiellement détruite pendant la Seconde Guerre mondiale, en juillet 1944, avant d’être reconstruite dans une architecture en sheds également. L’entreprise Sallandrouze frères cesse son activité dans les années 1990 et devient Manufacture Royale du Parc. Les bâtiments de l’usine sont entièrement détruits et rasés en 2014. Le château Sallandrouze, transformé pendant quelques années en hôtel de luxe, le château Saint-Jean qui abrite actuellement la maison de retraite d’Aubusson et la villa Saint-Jean, dans laquelle sont installés des locaux d’EDF-GDF, témoignent encore aujourd’hui de la richesse et de l’importance de la famille Sallandrouze dans la ville d’Aubusson aux XIXe et XXe siècles.
L’entreprise Manufacture Royale du Parc continue pour sa part son activité dans des locaux situés dans le quartier de la Beauze et produit des tapis et moquettes sur mesure pour les établissements hôteliers les plus luxueux, les compagnies de transports aériens et ferrovières.
D’après Juliette Ronsin
* L’exposition « Énergie et bâtisseurs », organisée par l’association Les Maçons de la Creuse, célèbre le centenaire de la construction du barrage des Combes, à Felletin, du 14 juillet au 30 septembre 2017. Pour en savoir plus, découvrez le site de l’association Les Maçons de la Creuse.
The development of tapestry production could match the development of several handicraft activities in Massif Central (cutlery, papermaking, armoury, silk fabric production and, later, lace). As the Flemish origins remain uncertain, we can imagine that the previously established local industry of making woollen cloth and blankets could have lead to specialisation in tapestry making.
The "millefleurs"
"Millefleurs" tapestries, typical productions of the 15th century, are caracterised by clumps of blossoms and leaves on a plain background. Usually, these tapestries present the main scene on the background, with no perspective. In the collections of the Cité de la tapisserie, the Millefleurs à la licorne which opens the "Tapestry Nave" is the oldest known tapestry from the region.
According to the archives, the Jeanne d’Albret inventory (La Châtre, Indre), written in 1514, mentions more than 70 tapestries from Felletin near Aubusson, including several with "little foliages" that could evoke the millefleurs.
Foliages of cabbage leaves in the 16th century
Around 1530, a new genre of tapestries appeared, first in Flanders, and then in the Aubusson region: foliages “of cabbage leaves”,“of large leaves”, “of upside down leaves” or “of Aristolochia”.
The main focus of these tapestries is the wild nature, with its mysterious and inhospitable character, populated by real or fantasy animals. Civilisation is always depicted in the distance by the presence of dwellings, whilst the centre of the image is overrun by imposing foliage, battlegrounds and the appearance of wild animals.
In the foreground, the foliage generally illustrates more hospitable outskirts, often with the presence of pruned trees, fruit trees and little flowers.
These tapestries almost never feature human characters, they remain illustrations of an impenetrable universe of vegetation and animals, situated on the border of civilisation.
Other artwork of this style can also be found in the region, at the La Trémolière castle in Anglards-de-Salers in Cantal.
Tapestries of flower vases: an unknown production (1620-1635)
The Flemish enthusiasm for flowers is famous: paintings, etchings, embroideries, silks, laces, etc., were produced with this iconographic theme. Rich and sometimes improbable, as the combination of flowers do not bloom in the same season, bouquets are displayed in sumptuous vases, silversmiths' masterpieces.
The Aubusson tapestries followed this short, decorative trend from 1620 to 1635. They were woven on a black or white background.
The greats hangings ("tentures") in the 17th century
A collection of tapestries on the same subject is called a “hanging”. These weavings, often made up of 6-8 parts, can comprise of more than 12 to 14 assorted tapestries. A woollen hanging not only serves as a lavish decoration for a home, but it also helps keep the inside of a room warm and protects it against the cooling properties of the stones.
The set can easily be moved to another location. The scale of the woven surfaces allows a whole story to be told (biblical, mythological or literary stories). Since the 16th century, etchings and paintings have served as models for the tapestries produced in the Aubusson region.
Marion Subert, Anne Boisseau (BMA "Art de la lisse"), Clément Polteau (ENSA Limoges), Sarah Ducarre (DSAA Raymond Loewy), Rafael Galoyan, Thomas Bachelé (ENSAP Bordeaux) remportent le troisième prix pour un projet qui porte bien son nom : 3. Le projet prévoit la mise en place d'un espace circulaire sous la forme d'un couloir créé à l'aide deux tapisseries, dans lequel le visiteur déambule et, à la manière d'un labyrinthe, repasse trois fois au même endroit sans jamais en avoir la même perception.
L'équipe est partie de l'idée de créer un espace en interaction avec le spectateur, qui se modifie selon trois cycles avec des changements de lumière, pour tour à tour raconter une histoire, raconter un matériau, et enfin raconter un espace. Par la lumière est ce qui lui est révélé ou non, le visiteur parcourt trois fois un même espace sans être le même.
Disposées de manière circulaire, les deux tapisseries forment un couloir dans lequel le visiteur pénètre en soulevant un pan de la tapisserie périphérique. Il est alors invité à découvrir au fil de son cheminement une tapisserie narrative classique, présentant l'histoire de Thésée et le Minotaure. Après un premier tour, il peut soulever un pan de la tapisserie intérieure pour reprendre son cheminement dans un deuxième cycle : cette fois, la tapisserie est rétro-éclairée, et laisse entrevoir la lumière par les fentes de relais laissés ouverts. Ce nouvel éclairage amène le visiteur vers une vision sensible de la structure de la tapisserie et provoque une deuxième perception du même espace. Le visiteur peut alors soulever le pan de tapisserie qui le ramène vers le début du troisième cycle. Cette fois, la déambulation se fait dans la pénombre, l'espace éclairé en lumière noire. Des fils de trame réfléchissant la lumière noire dessinent des lignes qui viennent scander l'espace pour créer un trompe-l'œil amenant peu à peu le visiteur vers la sortie.
Le deuxième prix est attribué à Cloé Paty, Brigitte Gathier (BMA "Art de la lisse"), Tristan Dassonville (ENSA Limoges), Hind Rezouk (ENSAP Bordeaux), Océane Boquet (DSAA Raymond Loewy) et Sheng Yini (Académie d'Art de Hangzhou en Chine). L'équipe a imaginé un projet de trois tapisseries adaptées et adaptables aux espaces intérieurs modernes plus réduits, permettant à l'usager de s'approprier et de redéfinir l'espace, et dont le motif en constante évolution serait composé par les traces de ces différents usages.
Inspiré de la conception nomade de la tapisserie par Le Corbusier, dans le projet Voyage d'intérieur, la tapisserie devient à la fois objet mobile et mobilier. Le projet prévoit trois tapisseries de dimensions, matières, techniques et épaisseurs différentes, qui selon leurs caractéristiques pourront séparer l'espace, permettre de ranger des objets ou de les laisser voir, enrober du mobilier, etc. Une première tapisserie de 6m x 1 m, rouge piquée de bleu, sera réalisée à l'aide de la technique du "crapautage" qui consiste à épaissir le point au fur et à mesure du tissage, pour passer d'une épaisseur de 5 mm à 1 cm. Une fois roulée, la tapisserie pourrait par exemple servir à la fois de tapis et de coussin sur la partie la plus épaisse. Le deuxième tissage de 4m x 2m fera 3 mm d'épaisseur est conçu pour être réalisé en bleu piqué de jaune. Des relais (rupture de la trame normalement nécessaire au moment des changements de couleur) seront laissés ouverts pour permettre de glisser différents objets. La troisième tapisserie est un carré jaune piqué de rouge de 3m x 3m, d'une épaisseur de 4 cm, obtenue artificiellement en multipliant les fils d'arrêt sur l'envers de la tapisserie pour rendre l'effet d'un tapis de savonnerie. Le calcul du sens des fils de chaîne permet de créer des volets ouvrables à l'envi.
Pour ces trois tissages en laine et soie, l'équipe a imaginé l'utilisation de teintures naturelles, pour créer des textiles non agressifs pour l'usager, mais aussi pour les propriétés de certaines plantes tinctoriales : la reseda des teinturiers pour le jaune, antiseptique, l'hibiscus pour le rouge, non agressif pour la peau, le pastel antibactérien et antiviral pour le bleu. Le projet prévoit également de teindre les fils de chaîne voulus en laine également, dans une teinte verte donnée par la tanaisie (insectifuge), l'usure de la trame faisant peu à peu apparaître les fils de chaîne étant ainsi anticipée dans le cycle de vie de ces tapisseries.
Ce projet s'appuie sur des formes et des techniques très simples pour des usages complexes et entièrement modulables. Sur le plan de la représentation, ce n'est pas le figuratif qui est mis en avant ici pour créer un motif narratif comme dans la tapisserie figurative traditionnelle, mais la notion de trace. Des traces témoins, fruits de l'usage quotidien de ces tapisseries. Le motif en évolution permanente est le résultat de l'histoire des tissages dans l'espace intérieur ; il se crée au fil des pliures, des réparations, des salissures, des modifications opérées par l'usager, etc.
Le premier prix est remporté par Auréline Caltagirone, Sophie Kabaradjian (ENSA de Limoges), Luis German Monroy (ENSAP Bordeaux), Manon de Valon (DSAA Lycée Raymond Loewy) et Natalie Mouveroux (BMA "Art de la lisse"), pour un projet poétique à dimension citoyenne qui propose aux habitants d'Aubusson de se réapproprier un patrimoine à la fois culturel et architectural : Alma, La tapisserie prend soin d'Aubusson.
Témoins de l'âge d'or de l'activité de tapisserie à Aubusson, de nombreux bâtiments, anciennes manufactures de tapisserie, sont à présent abandonnés et leurs façades présentent des dégradations. Alma se propose de rendre à la ville d'Aubusson son "âme" tapissière. S'inspirant de la technique du kintsugi "réparation en or" qui est une méthode de réparation des céramiques en revalorisant des fissures ou défauts au moyen de laques saupoudrées d'or, le concept du projet Alma est celui d'une tapisserie présentant des éléments tissés en puzzle reprenant les formes de fissures repérées sur les façades de ces bâtiments tombés en désuétude. Les parties de mur abimées pourront être comblées, les défauts réparés grâce à ces "pansements tapisseries".
Les lieux de l'activité tapissière ont donc fait l'objet d'une cartographie où ont été repérées les zones d'intervention ou de réparation.
Le projet envisage un tissage en atelier des éléments "pansements" sur un métier à tisser unique. Des motifs de verdures ont été choisis afin de ramener de l’onirisme dans ses bâtiments, de refaire vivre l’histoire de la basse-lisse. Pour résister aux intempéries, les tapisseries pansements sont tissées en polyester texturé, fibres résistantes aux UV.
La tombée de métier est envisagée comme un événement dans la ville, l'occasion pour les habitants de se reconnecter avec son patrimoine à la fois culturel et architectural en prélevant les différents éléments de "bandages" en tapisserie pour les placer sur les fissures à réparer.
La tapisserie évidée de ces différents éléments prélevés resterait exposée dans la ville, en témoin du processus.
La Cité internationale de la tapisserie compte dans sa collection de tapisseries d’artistes une œuvre de 1956 signée de l’architecte André Bloc et tissée par la manufacture Tabard à Aubusson : Structure. Elle témoigne des expérimentations transdisciplinaires de l’architecte.
André Bloc (1896-1966) est ingénieur, architecte, sculpteur, éditeur. Il œuvre sa vie durant pour concilier les arts du plasticien et de l’architecte. Il est notamment le fondateur de la revue AA, L’Architecture d’aujourd’hui puis de la revue Art d’aujourd’hui.
La tapisserie Structure est l’une des très rares tapisseries de l’architecte et artiste André Bloc, éditée par la galerie Denise René. Elle a été tissée par la manufacture Tabard à Aubusson. Elle appartient au mouvement des tapisseries d'artistes mises au point à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il est possible que le carton ait été mis au point par Victor Vasarely comme l’ont été les cartons des premières tapisseries éditées par la galerie Denise René à partir de 1950.
Pour Denise René, il s’agit là de prolonger ce travail de soutien aux artistes abstraits et optiques, au travers du medium textile, alors en plein essor. En 1950, Denise René fait appel à Victor Vasarely pour la mise au point des cartons et le suivi des tissages. Cette collaboration fut engagée avec la manufacture Tabard et a permis le tissage de pièces somptueuses comme les tissages d'après Albers, Arp, Le Corbusier, Taeuber-Arp, etc. et bien sur Victor Vasarely dont 61 cartons furent édités entre 1951 et 1976.
André Bloc a réalisé pour Denise René seulement 7 cartons entre 1952 et 1956, et, d’après les archives de la manufacture Tabard, chacun a été tissé en un seul exemplaire. Cette tapisserie est donc un exemplaire unique. Cette tapisserie révèle une grande qualité de tissage, très homogène et rigoureux, mais avec des caractères propres à la tapisserie affirmés, notamment l’effet de « côte » visible ponctuellement. L’utilisation du « chiné »[1] donne la matérialité du trait et évoque le fusain.
Pour André Bloc, la première collaboration avec Denise René intervient à la suite de la fondation avec le peintre Félix del Marle du groupe Espace en 1951, auquel plusieurs artistes et architectes de l’époque s’associent : Nicolas Schöffer, Jean Prouvé, Sonia Delaunay… Le groupe Espace œuvre ainsi pour une synthèse des arts en associant peinture, sculpture et architecture.
L’intérêt d’André Bloc pour la tapisserie est donc à relier avec ses expérimentations d’alors autour de matériaux et techniques diversifiés, selon une volonté de recherches transdisciplinaires. Chacune de ses expérimentations est dirigée vers la recherche d’une spatialité renouvelée, pour un art total mêlant arts plastiques et architecture. André Bloc travaille notamment avec l’architecte Claude Parent (1923-2016), récemment disparu.
En 1960, André Bloc présente une de ses amies, Andrée Bordeaux Le Pecq (1910-1973), à Claude Parent. De cette rencontre va naître un projet de construction très original, devenu depuis emblématique de l’esthétique de Claude Parent et de sa faculté à modeler le béton armé : la villa Bordeaux-Le-Pecq (du nom de ses commanditaires), réalisée entre 1963 et 1965, à Bois-le-Roy, dans l’Eure.
Andrée Bordeaux Le Pecq est elle-même peintre, et Claude Parent a prévu pour elle dans le plan de la villa un grand volume, légèrement surbaissé, destiné à son atelier. Andrée Bordeaux Le Pecq, très impliquée dans la vie artistique de son époque, imagine des modèles de tapisserie, et les murs du salon de la villa sont conçus pour valoriser la présentation de ces œuvres tissées.
La tapisserie Les Fleurs séchées, tissage des ateliers Pinton à Aubusson, encadrée par des appliques de Serge Mouille et des créations de Warren Platner ou encore Cini Boeri, dans un ensemble mobilier passé en vente publique à Paris en octobre 2014 (Artcurial).
[1] Cette technique consiste à mélanger sur la « flute » (la navette) du lissier des fils de différentes couleurs (ici des noirs et des bleus) pour donner des effets de transparence lors du tissage.
Pour aller plus loin
Bibliographie
Aubusson, La voie abstraite, catalogue de l’exposition présentée au Musée départemental de la tapisserie à Aubusson, du 3 juillet au 26 septembre 1993.
La Cité internationale de la tapisserie conserve deux tapisseries tissées d’après des cartons de Le Corbusier : Les Mains (Atelier Picaud, 1956) et Les dés sont jetés (Ateliers Pinton, 1960), deux tapisseries monumentales issues d’une collaboration avec un professeur de l’École nationale d’Art décoratif d’Aubusson, le « metteur en laine » Pierre Baudouin. Une collaboration qui donnera naissance à plus de 50 œuvres tissées.
Pierre Baudouin (1921-1970) est artiste, enseignant à Aubusson et à Paris au lycée de Sèvres. En 1946, il découvre la tapisserie et se saisit de la question de la transcription textile d’une œuvre artistique non conçue au départ pour devenir un tissage. Il devient alors un spécialiste dans ce domaine en mettant au point les cartons de tapisseries à partir d'œuvres originales, estampes ou peintures de petits formats. Il dirige la réalisation technique des tissages au sein de l’atelier de tissage de l’École nationale d’Art décoratif d’Aubusson, choisit leur texture (grosseur du point) et supervise la teinture des laines.
Il travaille tout d’abord avec Henri-Georges Adam puis pour Le Corbusier, dont il devient l’assistant dans la réalisation d’œuvres tissées. Les complices de cette aventure fondamentale pour la tapisserie du XXe siècle sont Denis Dumontet et Raymond Picaud, qui va réaliser la plupart des tissages mis au point par Pierre Baudouin.
Dans les années 1930, Le Corbusier découvre la tapisserie grâce à Marie Cuttoli, collectionneuse et éditrice, qui lui commande vers 1935 un premier carton de tapisserie. Alors que la peinture de Le Corbusier s’affirme de plus en plus murale, l’architecte trouve dans le médium tapisserie un nouveau terrain d’application pour ses recherches murales.
La tapisserie vue par Le Corbusier
Pour Le Corbusier, la tapisserie ne peut pas être conçue comme une simple pièce habillant un mur au-dessus d’une commode. Elle n’est pas un tableau, de quelque dimension qu’il soit. Elle doit être placée à hauteur d’homme et « peut (et doit peut-être) toucher au sol ». C’est en les considérant ainsi que les tapisseries peuvent entrer véritablement dans la composition de l’architecture, au-delà du simple décor.
L’architecte considère la tapisserie comme le « Mural » des temps modernes, des murs de laine à décrocher, rouler et déplacer à l’envi, faisant le lien entre la caractéristique nomade originelle des tentures de laine qui accompagnaient les seigneurs dans leurs différentes résidences et les changements de lieux exigés par la vie moderne.
Le Corbusier baptise ainsi ses tapisseries à la fois éminemment murales et déplaçables : « Muralnomad ». Si la peinture murale peut être perdue lorsque l’on change d’appartement, la tapisserie, elle, peut être changée de place ou de maison sans être compromise.
Dans une lettre adressée à Oscar Niemeyer en 1959, Le Corbusier affirme : « J’ai trouvé dans la tapisserie une ouverture capable de recevoir une part de mes recherches murales où ma vocation de peintre trouve sa nourriture architectonique en pleine connaissance de cause ». Pour Le Corbusier, la texture, la matière et la sensibilité de l’artisan lissier qui transparaît dans sa réalisation instaurent un rayonnement de couleurs et de lignes dans l’espace intérieur. Il s’intéresse particulièrement à sa place dans les intérieurs privés. L’architecte souligne également l’intérêt de la fonction acoustique de ces murs de laine.
Le tissage des tapisseries de Le Corbusier reste traditionnel, cependant ils se démarquent par un vocabulaire particulier : les lignes et leurs pleins et déliés induisent une attention particulière accordée aux « échelles », ces effets de décochements induits par la technique même lors du tissage de lignes obliques[1]. Les nombreuses surfaces unies impliquent un tissage « parfait », car les irrégularités de tissage s’y remarquent facilement. Pierre Baudouin et Le Corbusier font utiliser les « chinés » (mélange de brins de couleurs différentes sur la même flûte) pour rendre les transparences ou traduire des effets de papier journal, par exemple. Les couleurs, généralement neutres dans ses premières compositions, deviennent de plus en plus intenses et éclatantes, un défi pour l’étape de teinture dans le processus de réalisation des tapisseries.
Dans les collections de la Cité
Les Mains
Visible dans la grande Nef des tentures, parcours d’exposition permanent de la Cité de la tapisserie, la tapisserie Les Mains est un tissage de 1956 d’après un carton mis au point par Pierre Baudouin en collaboration avec l’architecte en 1951, réalisé par l’Atelier Picaud à Aubusson. La maquette d’origine utilise des papiers collés : traduit en tapisserie, le papier journal devient des surfaces chinées dans la bande centrale et l'angle supérieur droit. Des feuilles de cellophane deviennent deux aplats orange et violet traduisant une transparence. Le dessin tout en rondeurs enveloppe la composition où trois personnages, trois têtes, se mêlent dans l’unité centrale des trois mains.
Les dés sont jetés
Tissé en 1960 par les Ateliers Pinton, l’exemplaire de la tapisserie Les dés sont jetés conservé par la Cité de la tapisserie appartenait à M. Ducret, ingénieur béton et ami de l’architecte. Cette tapisserie fut destinée à décorer la chapelle ardente où fut déposé le cercueil de Le Corbusier, le 1er septembre 1965, dans son atelier de la rue de Sèvre à Paris.
Le carton de cette tapisserie fut réalisé à partir d’une composition en papier collé à fond rouge dont avait été tirée l’affiche en litho de la seconde exposition de la galerie La Demeure en 1960.
Selon la Fondation Le Corbusier, 7 exemplaires de cette tapisserie auraient été tissés. L’un des exemplaires a d’ailleurs été acquis en 2015 par l’opéra de Sydney, 57 ans après sa commande par l’architecte Jorn Utzon, responsable du projet de l’opéra en 1958.
[1] Une tapisserie étant généralement tissée dans le sens latéral, les fils de chaîne se trouvent à l’horizontal par rapport à la composition. Tisser des lignes obliques implique donc de passer d’un fil de chaîne à l’autre avec un léger décalage, créant ainsi un léger effet d’escalier.
Le Corbusier y avait trouvé un nouveau terrain d'application de ses recherches murales : décor "nomade", la tapisserie entretient des rapports privilégiés avec l'architecture. Lieu de création, d'innovation et de recherche, la Cité de la tapisserie a proposé aux architectes de renouer avec le médium tapisserie en accueillant un workshop international : "La tapisserie, le mur et l'architecte", du 13 au 19 novembre 2016. L'objectif du workshop est de permettre à l'architecte, le plasticien, le designer et le lissier de collaborer à un projet innovant de carton de tapisserie, produit des codes de représentation et de confection de leurs métiers respectifs.Pendant une semaine, 8 équipes mélangeant des étudiants de l'École nationale d'architecture et de paysage de Bordeaux, de l'École nationale supérieure d'art de Limoges, du diplôme supérieur d'arts appliqués du Lycée des métiers du design et des arts appliqués Raymond Lœwy de La Souterraine (Creuse) et de l'Académie d'Art de Hangzhou (Chine) ont investi la Cité de la tapisserie pour travailler sur cette thématique, en collaboration avec des élèves lissiers du Brevet des métiers d'art "Art de la lisse" mis en place à la Cité de la tapisserie et géré par le GRETA Creuse. À l'issue de cette semaine d'atelier, trois projets ont été récompensés par le jury de sélection.
Découvrez les projets lauréats, projets qui s'inscrivent dans la continuité de la vision de la tapisserie par les architectes présents dans les collections de la Cité de la tapisserie : Le Corbusier et André Bloc.