Les savoir-faire d'Aubusson

L'exception de la tapisserie d'Aubusson est liée à la communauté de ressources présente sur le territoire et à l'interaction de tous ces savoir-faire.

Depuis l'établissement de la tradition de tissage à Aubusson-Felletin, la région concentre un vivier d’acteurs art textile / art tissé, fédérés par la tapisserie d’Aubusson, qui se rencontrent, échangent, s’ajustent les uns aux autres, expérimentent... Le "merveilleux" que l'on accorde aux œuvres tissées à Aubusson est le fruit de cette collaboration permanente entre les différents maillons de la filière : la production, le lavage et la préparation de la laine, le filage, la teinture, les ateliers de tissage, jusqu'à la restauration... 

Leur présence simultanée sur le territoire sud-creusois, conjuguée au maintien des savoir-faire et techniques traditionnels, est une situation suffisamment rare pour avoir été soulignée par l’UNESCO lors de l’inscription de la tapisserie d’Aubusson au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Découvrez ici tous les métiers liés aux arts textiles / art tissé sur le territoire d'Aubusson. 

La tapisserie, six siècles d'histoire

L'histoire de la tapisserie dans la région contribue au "mythe Aubusson" : l’origine de l'implantation de la tapisserie à Aubusson et Felletin se perd dans les légendes.

L’origine des tapisseries de la Marche (région d’Aubusson et de Felletin) est obscure. Elle a longtemps été attribuée au monde arabe, certains la rattachant à une vieille légende évoquant une troupe de Sarrazins perdus après la bataille de 732 où Charles Martel bloqua l’expansion arabe vers le Nord. 

D’autres auteurs, dont George Sand, ont répandu l’hypothèse qu’à la fin du XVe siècle, l’exil du prince ottoman Zizim à Bourganeuf (à 40 km d’Aubusson) s’était accompagné de l’installation d’ateliers de tisserands turcs. 

Pour d’autres encore, c’est dans des alliances entre des familles flamandes et les seigneurs de la Marche qu’il faudrait rechercher cette origine, car elles auraient influencé l'établissement de lissiers d’Arras ou du Hainaut vers Aubusson et Felletin au XIVe siècle ou au XVe siècle. 

Par ailleurs, les mentions écrites à partir de 1457 à Felletin permettent d’envisager qu’une activité locale plus ancienne de fabrication de draps de laine et de couvertures aurait pu donner lieu à une spécialisation vers la tapisserie.

Un musée innovant

Le nouveau projet scientifique et culturel du musée a retenu le principe que les différentes fonctions de la Cité doivent s’alimenter entre elles au profit du patrimoine et des publics, de l’activité économique et de la création. Il s'agit d'amplifier la diffusion d’un grand patrimoine, désormais inscrit par l’UNESCO au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité ; de produire, formaliser et rendre accessible la connaissance sur les savoir-faire mis en œuvre dans la réalisation de la tapisserie d’Aubusson au cours des siècles ; de reconstruire un lien entre les collections, le territoire et les hommes qui ont produit la tapisserie d’Aubusson ; de repositionner la tapisserie d’Aubusson dans son lien historique fort avec l’architecture à travers une approche muséographique renouvelée. 

Recherche et innovation

Retissage de tapisseries anciennes

La Cité de la tapisserie a lancé un programme de recherche pour répondre à une demande de collectionneurs existante sur le marché de l’art : le retissage de pièces anciennes. La première pièce destinée à être retissée a d’abord été numérisée en utra haute définition. Une immersion au cœur de la fibre.

Le 29 juillet 2013, une convention a été signée entre un collectionneur désireux d’acquérir un exemplaire retissé de l’œuvre La Fée des bois et Jean-Jacques Lozach, Président de la Cité de la tapisserie. La Fée des bois (3,50m x 2,42m), pièce de la collection du Musée de la tapisserie d’Aubusson, a été tissée par la Manufacture Croc-Jorrand, à Aubusson, en 1909, d’après un carton d’Antoine Jorrand aujourd’hui perdu.

Ce programme passe par une phase de recherche qui vise une meilleure connaissance du savoir-faire et de son histoire. Retisser une tapisserie ancienne suppose un important travail d’étude technique et de recherche scientifique préalable : identifier les composantes, fibres, pigments et techniques de tissage en vue d’un retissage à l’identique.

La recherche ne pouvant pas se baser sur le carton d’origine, l’entreprise italienne Haltadefinizione, spécialiste du traitement numérique d’œuvres d’art en ultra haute définition, a été sollicitée pour réaliser les numérisations de l'envers et de l'endroit de la tapisserie pour comprendre sa composition fil par fil, au point près. En effet, l'envers de la tapisserie, dont les couleurs sont préservées, constitue une référence pour la restitution des couleurs d'origine. Cette méthode innovante de visualisation de la tapisserie à l’échelle de la fibre permet de détailler très précisément les techniques de tissage, la répartition des différents matériaux et les différentes natures et grosseurs des fils. À l’issue de cette étude, la Cité de la tapisserie a remis ses résultats de recherche sous la forme d'un guide de tissage au collectionneur. À l'issue d'une mise en concurrence de différents ateliers de tissage de la région d'Aubusson-Felletin, le collectionneur a confié ce travail de retissage à l'atelier Catherine Bernet (Felletin).

En amont de l'étape de tissage, l'atelier procède à un important travail d'échantillonnage des couleurs d'origine de la tapisserie sur l'envers de la pièce présentée dans le parcours de la Cité de la tapisserie, en public, pour éviter de trop nombreux raccrochages de l'œuvre fragile. Le recueil des fibres aux couleurs préservées permettra de réaliser un chapelet de couleurs numérotées, dont chaque numéro est reporté dans les différentes zones du carton, imprimé à partir de la numérisation de l'envers de la tapisserie.

La lissière prélève les fibres dont les teintes sont préservées sur l'envers de la tapisserie. Chaque brin est répertorié et numéroté. Sa référence est ensuite reportée sur la zone correspondante sur le carton qui guidera le tissage, placé sous le métier à tisser.

 
Le programme de recherche mené par la Cité et l'étape de numérisation en ultra haute définition sont soutenus par le programme LEADER.

 

Workshops pratique du tissage

Le drapé

Un workshop autour des techniques de tissage du "drapé"

La deuxième année de la formation de lissier (confiée au GRETA Creuse et financée par le Conseil régional du Limousin) s’organise autour d’une succession de workshops encadrés par un professionnel. Ces ateliers permettent aux élèves de la formation d’approfondir une technique de base. Le workshop sur le thème du "drapé" vient de se terminer et les travaux des élèves sont tombés du métier.

D’une durée de trois à six semaines, ces workshops permettent aux élèves de mettre en œuvre les techniques de base du savoir-faire d’Aubusson, reconnu par l’Unesco au Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité en 2009. L’enjeu pédagogique est la mise en application de ces différentes techniques apprises en première année à travers des exercices d’interprétation très concrets.

Dans ce cas précis, les élèves ont pratiqué l’exercice du drapé : quatre semaines de travail animées par le lissier René Duché, Meilleur Ouvrier de France.

Tous les élèves ont travaillé sur le même carton de tapisserie réalisé à partir de détails du tableau La Sainte-Famille de Barthélémy d’Eyck, conservé au Trésor de la cathédrale du Puy-en-Velay. Chacun a proposé son interprétation personnelle par l’utilisation des couleurs, des techniques de battage (technique de tissage permettant d'obtenir le passage d'une nuance à une autre), de rayures, pour restituer l’effet de volume et les ombres du drapé du tissu.

La tombée de métier a eu lieu lors de la venue de la Fondation d’entreprise Hermès, qui soutient la Cité de la tapisserie dans son action de transmission des savoir-faire, de formation et d’accompagnement de nouveaux lissiers.

Pour aller plus loin

Appels à création

La Rivière au bord de l'eau, Olivier Nottellet

3ème Prix – Appel à création contemporaine 2010

Création – Olivier Nottellet, artiste français né en 1963, vit et travaille en France (Lyon). 
Tissage – Atelier Bernard Battu, Aubusson
Dimensions : 3m ht x 4m l
Tapisserie de basse lisse, chaîne coton, trame en laine, fibre de verre, rayonne

 

« J’utilise essentiellement du noir et du blanc pour travailler l’impact visuel de la forme tout en entretenant le paradoxe d’une lecture complexe. La question de la polysémie, des sens de lecture, de la relation entre langage et signe ou tache, tout cela sous-tend mon travail. C’est justement l’enchevêtrement, inextricable parfois, qui lie mémoire, représentation, évocation, persistance rétinienne […] qui fonde mon activité et pourrait trouver dans l’art de la tapisserie l’occasion d’une judicieuse application. Mes dessins sont faits à l’encre de chine, ils s’accumulent dans des carnets de formats classiques. J’utilise ensuite cette matière première pour les projeter, les travailler, jouer avec leurs multiples sens possibles, leurs échelles, leurs degrés d’abstraction jusqu’à en faire de gigantesques peintures murales ». 

Happé par la matière textile de la tapisserie, que le regard se porte sur des détails ou sur des ensembles plus vastes, couleurs, espaces, lignes et taches, sont soutenus par les textures du tissage, renforçant une présence spatiale des paysages évoqués. 

 

Appels à création

Blink # 0, Benjamin Hochart

2e Prix – Appel à création contemporaine 2010

Création – Benjamin Hochart, artiste français né en 1982, vit et travaille en France (Aubervilliers). 
Tissage – Manufacture Pinton, Felletin
Dimensions : triptyque, 3 oeuvres de 1,55 m x 2,20 m

 

Benjamin Hochart utilise une méthode de travail dite « dodécaphonique » en écho à la musique atonale de Schönberg, pour définir des structures agissant comme des partitions. Avant de commencer à dessiner, il utilise dans un ordre donné, crayons, feutres, encres, etc.. Il commence au centre de la feuille avec le premier outil, qu’il ne reprend par la suite qu’après les avoir tous utilisés, l’un après l’autre. Les maquettes de Blink#0 ont été créées selon ce procédé.

Benjamin Hochart invite à circuler dans ses œuvres comme dans un espace musical, un labyrinthe, un paysage, une carte mentale. Les tapisseries de ce triptyque sont modulables, vues au sol aussi bien qu’au mur et pouvant être positionnées dans les quatre directions. L’artiste prolonge « la dimension spatiale et transversale de son travail de dessin, en produisant une série d’images variables, mouvantes et tissées, dont l’œil ne pourrait percevoir les possibilités et variations en une seule fois », ainsi les tapisseries proposent différents espaces avec autant de nouvelles lectures. 

Appels à création

Peau de licorne, Nicolas Buffe

Grand Prix – Appel à création contemporaine 2010

Création – Nicolas Buffe, artiste français né en 1978, vit et travaille au Japon (Tokyo).
Tissage – Patrick Guillot, Aubusson
Porcelaine – CRAFT Centre de Recherche des Arts du feu et de la terre, Limoges
Tapisserie de basse lisse (corps), chaîne coton, trame en laine et soie  – Porcelaine (tête et sabots)

 

« Assemblant, collant, mixant des figures tirées de la culture populaire et de la culture savante, je procède à des associations les plus éloquentes possibles suivant mon plaisir. Ce dialogue entre passé et présent qui est inscrit profondément au sein de mon travail relève de l’amusement ».

« Enfant, dans les années 1980, l’atmosphère culturelle dans laquelle j’ai baigné, était fortement influencée par l’imagerie
japonaise des mangas et jeux vidéos d’une part et par l’empreinte laissée par les cartoons américains. En utilisant ces éléments, je fais référence à un vocabulaire qui a une portée très étendue, voire universelle ».

Au Bas Moyen Âge, la licorne est un symbole du Christ. L’animal est invincible pour les chasseurs, sauf à le piéger par la ruse en l’amadouant par l’intermédiaire d’une jeune fille vierge. Ici, comme dans la suite de tapisseries anciennes de La chasse à la Licorne conservée au Cloisters à New York, les chasseurs et leurs chiens traquent et tuent l’animal par une lance en plein cœur pour mieux en révéler son caractère immortel et pur. 

Appels à création

Sans Titre – "La Corde", Mathieu Mercier

3e prix – Appel à création 2011

Création – Mathieu Mercier, artiste français né en 1970, vit et travaille en France (Paris), Prix Marcel Duchamp en 2003. 
Tissage – Atelier Legoueix, lissiers Daniel Bayle et Agnès Cariguel, Aubusson
Dimensions : 3, 20 m ht x 3,20 m l
Tapisserie de basse lisse, chaîne coton, trame en laine, polyester métallisé
Couleurs : 7 couleurs

 

Les œuvres de Mathieu Mercier utilisent des objets du quotidien, l’artiste change le regard sur leur réalité et les fait entrer dans le champ de l’art conceptuel et minimaliste. Il fait se confondre les genres et les certitudes, joue sur des détournements et des distorsions, des assemblages et associations. Son travail est aussi une manière de penser le temps et l’espace dans une approche métaphysique.  

Il souhaitait sa tapisserie intéressante à dix mètres de distance, où l’on reconnaît une corde et constituant une autre proposition de très près lorsque qu’elle devient une représentation géométrique comme pourraient l’être une peinture ou une photographie pixellisée. Pour la réalisation, le tissage devait être le plus plat possible à l’inverse d’une corde en trompe-l’œil et en relief. 

Appels à création

Melancholia I, Marc Bauer

2e Prix – Appel à création contemporaine 2011

Création – Marc Bauer, artiste suisse né en 1975, vit et travaille en Allemagne (Berlin). 
Tissage – Atelier Patrick Guillot, Aubusson, 2013
Tapisserie de basse lisse, chaîne coton, trame en laine, coton, soie, lurex
Dimensions : 3,60 m ht x 3m l
Couleurs – environ 50 couleurs, teinture Thierry Roger, Aubusson (teinture chimique)

 

Marc Bauer est un dessinateur qui utilise le passé, l’histoire collective et individuelle pour inventer une réécriture subjective. « Je vois mes dessins comme une sorte d’archéologie qui tente, parfois avec humour, parfois avec désespoir, de faire remonter des émotions et des événements ». Marc Bauer utilise divers supports : papier, mur, tapisserie, film, aluminium, etc. Ses couleurs restent majoritairement celles du fusain et de l’encre noire. 

Pour Melancholia I, l’artiste a redessiné la célèbre Mélancolie du peintre et graveur allemand Albrecht Dürer datée de 1514, surnommée en Allemagne « Bild der Bilder », « l’image des images ». L’œuvre s’inscrit dans une recherche articulée autour de la déstructuration du dessin. Jouant avec les échelles et les matières, l’artiste transpose le dessin originel à la tapisserie tout en le modifiant et le soumet aux impératifs de la technique utilisée. Pour lui apporter « une deuxième couche émotionnelle », la tapisserie se voulait elle-même déstructurée, avec des effets d’usure, véritable défi psychologique et technique pour un lissier. 

Tissée par l'atelier Patrick Guillot à Aubusson, la tapisserie est tombée du métier le 22 novembre 2013. Retrouvez la galerie photo de l'événement ici.