Ce serait la découverte de Guernica de Picasso qui aurait décidé Robert Wogensky à devenir peintre. Décédé en 2019, il fut l'un des derniers de la génération de peintres cartonniers ayant fait ses premières armes dans le sillage de Jean Lurçat, pouvant se prévaloir d’un véritable "œuvre tissé".
Robert Wogensky rencontre Lurçat après la Libération ; il appréhende avec lui la technique du carton de tapisserie. Puis c’est Denise Majorel qui lui ouvre les portes de sa galerie La Demeure.
Les thèmes qu’il aborde sont un hymne à la nature : les Eaux, les Constellations, les Feux, les Oiseaux. Ce dernier motif, dont la forme en vol se prête bien à une étude sur la ligne, est récurrent dans son œuvre de cartonnier : Plein ciel, Les Migrateurs, Sillages, Tire d’Ailes...
D'abord traités de façon figurative, les oiseaux s’épurent et se fondent dans un espace infini. Contrairement à d’autres peintres cartonniers, Wogensky, une fois "entré en tapisserie", n’a pas abandonné la peinture de ses débuts, et son travail de peintre sur le trait et la trajectoire rejaillit dans ses cartons de tapisserie.
Des recherches techniques engagées par l’artiste avec l’atelier de Camille Legoueix à Aubusson, dans les années 1970, ressortent des combinaisons, dans une même tapisserie, de différentes grosseurs de points et de couleurs, qui procurent une dynamique aux formes en mouvement. C’est un art "assoupli" qui naît.
Si Dufy est surtout connu pour sa peinture, il s’est intéressé à beaucoup d’autres domaines des arts décoratifs : la gravure sur bois et la lithographie pour l’illustration d’ouvrages, la céramique, l’impression sur étoffe, la décoration d’intérieur et les décors de théâtre et la tapisserie.
L’aventure textile commence pour Dufy avec le couturier et décorateur Paul Poiret, vers 1910 ; ensemble, ils créent des vêtements et des tissus d’ameublement, mais aussi des "tentures" avec le même procédé d’impression sur tissu mais dans des dimensions qui l’amènent à travailler ses motifs en d’amples compositions, proches de celle des tapisseries. Comme Paul Poiret, Dufy dessine des modèles de sacs à main en laine et soie tissés à la manufacture de Beauvais à la fin des années 1920.
Réfugié dans le sud de la France au début des années 1940, les contacts de Dufy avec Aubusson se nouent grâce à Lurçat rencontré à Perpignan et à la collectionneuse Marie Cuttoli, qui souhaitait relancer l’art de la tapisserie à partir de tableaux de grands peintres. Il réalise les tapisseries Bel Eté (collection du musée du Havre) et Collioure, tissées par l’atelier Tabard. C’est pour lui l’occasion d’expérimenter la méthode du carton numéroté réactualisée par Lurçat. Il peint plus tard de nouveaux cartons de tapisserie pour la galerie Louis Carré.
Surnommé "peintre de la joie", Dufy signe des œuvres légères, fraîches et colorées. Ce passionné de musique a fait des orchestres son sujet de prédilection, tentant faire sonner les instruments et les rythmes avec des formes, des couleurs et leur mouvement.
D’abord professeur à l’École Nationale d’Arts Décoratifs (l’ENAD) de la ville d'Aubusson, où se formaient les lissiers, il en est ensuite devenu directeur jusqu’en 1969, date à laquelle il est parti à Paris diriger l’ENSAD.
Creusois par une partie de sa famille, Bourguignon de l’autre (il est né à Beaune), Michel Tourlière était bien connu des Aubussonnais.
Il a 20 ans seulement lorsqu’il fait tisser sa première tapisserie, Le Vigneron, acquise par le musée du Vin à Beaune. Ses premiers modèles sont encore figuratifs, et c’est un peu plus tard qu’il va trouver son style, bien reconnaissable grâce à l’utilisation fréquente qu’il fait de la technique du piqué, technique qui permet d’obtenir un effet de longues rayures plus ou moins chargées en laine noire.
Tourlière a souvent suggéré ainsi les paysages du vignoble de Bourgogne, et surtout les sillons de vigne. La gamme soignée de ses couleurs, souvent des rouges sombres mêlés à des ocres, avec quelques aplats blancs, le découpage presque systématique de la surface en plans soulignés d’un fil de couleur, l’alternance étudiée entre des zones d’ombre et des zones de lumière, confèrent à ses tissages élégance et sobriété, on pourrait presque dire classicisme.
Michel Tourlière était le président de la société des Amis du musée d’Aubusson à sa création.
Marcel Gromaire est à la fois peintre, décorateur, illustrateur, graveur, et même linguiste. Dans les années 1940, il séjourne à Aubusson et crée des cartons de tapisserie, participant activement à son renouveau avec Jean Lurçat.
Bachelier en droit, Gromaire abandonne la carrière juridique pour se consacrer à la peinture, à laquelle sa famille le sensibilise dès l'enfance. Ses toiles se caractérisent par une construction géométrisante, des lignes puissamment cernées. Influencé par l’atmosphère qu’il retient de ses visites des pays du Nord et par les primitifs romans ou gothiques, son style est marqué par des formes stylisées, puissantes et très construites.
La peinture, la gravure et le dessin occupent la plus grande place dans le travail de cet artiste, mais il s’intéresse aussi à l'art monumental, à travers le panneau mural, le vitrail et la tapisserie.
Après une première expérience aux Gobelins, où il fait tisser La Terre en 1938, Gromaire séjourne à Aubusson de 1939 à 1944. Il réalise onze cartons, la plupart tissés à l'atelier Goubely. La série des Saisons, où chaque saison est représentée par une région de France, est particulièrement remarquable. On peut citer également la tapisserie Aubusson (collection de la mairie de Lille), particulièrement représentative de l’impression laissée par Aubusson et sa nature environnante au peintre. Malgré la brièveté de son activité de peintre-cartonnier, ses œuvres font date dans l’art de la tapisserie. Chaque tissage impose une composition rigoureuse, un trait vigoureux et robuste, une certaine économie des couleurs et des jeux de clair-obscur.
Ce fresquiste, petit-neveu du compositeur Camille Saint-Saëns, vient à la peinture de cartons de tapisserie après une rencontre avec Jean Lurçat. Il fait tisser presque tous ses cartons à Aubusson, par l’atelier Tabard pour la plupart.
Grâce à son expérience de fresquiste, Marc Saint-Saëns est sensibilisé aux problématiques de l’art mural et aux compositions monumentales. Il utilise ce savoir-faire dans des modèles destinés à la tapisserie, en privilégiant la clarté et la force du sujet plutôt qu’une représentation détaillée du réel mais sans jamais négliger l’élément décoratif.
Sa production, abondante, est marquée par un style très reconnaissable, élégant et coloré. Les thèmes s’inspirent de la nature (suite des Saisons, suite des Eléments), de la mythologie et du théâtre (Commedia dell’arte). Une de ses pièces les plus connues, Thésée et le Minotaure (1943), figure dans les collections du MNAM - Centre Pompidou. La ville de Toulouse, où Saint-Saëns est né, conserve plusieurs de ses œuvres, aussi bien dans des collections particulières que dans des édifices publics (une série de quatre grandes tapisseries a été commandée par la municipalité en 1950 pour décorer le théâtre du Capitole).
Très impliqué dans la création de modèles de tapisseries, il fonde, avec Jean Picart Le Doux et Jean Lurçat, l’Association des peintres cartonniers en 1947.
La gloire des Lurçat, Gromaire, etc., a sans doute occulté pendant un temps Lucien Coutaud. Les éléments de son univers, entre rêve et fantastique, la création exutoire totalement liée à la vie intérieure de l’artiste, étaient sans doute déroutants pour l’amateur de tapisseries. Mais son style reste incomparable parmi les peintres cartonniers de sa génération.
Après des études de peinture, il rencontre plusieurs personnalités du théâtre et de la critique littéraire. Pour Charles Dullin, pour Jacques Copeau et Jean-Louis Barrault, il compose des décors et des costumes de scène.
Deux rencontres, avec la collectionneuse Marie Cuttoli, qui cherche auprès des peintres des idées de modèles qu’elle fait tisser à Aubusson, puis avec Jacques Adnet le décorateur de la Compagnie des Arts français, l’amènent à la tapisserie. L’atelier Pinton à Felletin tissera la plupart de ses cartons.
Ses modèles montrent des personnages étranges et mélancoliques, dont les corps se transforment en végétaux ou bien se durcissent en formes métalliques hérissées de pointes… Les thèmes obsessionnels et oppressants de sa peinture (érotisme, angoisse, sensation de vide, d’incommunicabilité...) se devinent encore mais se font plus discrets dans ses tapisseries. En 1985, selon la volonté de sa veuve, le musée a reçu en don les maquettes et cartons de l’artiste.
"La tapisserie à domicile répond à un légitime désir poétique." En 1936, la collectionneuse Marie Cuttoli demande à Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, de réaliser son premier modèle pour une tapisserie. Entre cette date et 1965, année de sa mort, le célèbre architecte réalise environ une trentaine de cartons, dont la plupart sont tissés par l'atelier Picaud à Aubusson, et par l'atelier Pinton à Felletin.
En réalité, la véritable carrière de Le Corbusier en tant que peintre-cartonnier commence en 1948, lorsqu’il compose pour la première fois un carton (et non plus un tableau, adapté en carton de tapisserie par les ateliers de tissage) grâce à sa collaboration avec Pierre Baudouin, peintre et professeur d’histoire de l’art à l’ENAD Aubusson, qui le met en contact avec les ateliers d'Aubusson et l’initie au langage propre au carton de tapisserie. Pierre Baudouin assure alors le suivi de presque toutes les tapisseries de Le Corbusier.
L’architecte trouve dans cet art un nouveau terrain d’application de ses recherches murales, et il apprécie l’aspect de décor « nomade » d’une tapisserie que l’on peut enlever ou déplacer à sa guise dans un monde où l’homme bouge beaucoup.
Il privilégie dans ses compositions la pureté de la ligne, des pleins et des déliés, mis en valeur avec des fonds très simplifiés et rehaussés seulement par quelques aplats de couleur. Les modèles de Le Corbusier expriment l’influence du cubisme (ellipse dans les formes, couleurs décalées par rapport au motif, effets de collages…) mais son style est surtout reconnaissable dans les thèmes (celui de la main par exemple), dans le tracé très mince, dans l’utilisation fréquente en arrière-plan de zones grillagées ou quadrillées en noir et blanc.
Peintre-cartonnier nommé au service du Roi à Aubusson, Jean-Joseph Dumons est considéré comme le peintre rénovateur des Manufactures de la ville.
Jean-Joseph Dumons est né à Tulle le 26 mars 1687. Son activité précédant sa nomination de peintre au service du Roi à Aubusson reste encore inconnue. On sait seulement qu’il a été l’élève de François de Troy. Agréé par l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1733, il est reçu peintre d’histoire, le plus haut degré de la hiérarchie des peintres, le 29 octobre 1735. Reconnu par ses contemporains, il est expose régulièrement dans les Salons du Louvre entre 1737 et 1753. Il se retire d’Aubusson en 1755 mais ne cesse pas de travailler pour les manufactures puisqu’il est nommé l’année suivante peintre à Beauvais, où il veille à la conservation des tableaux et à l’enseignement du dessin. Jean-Joseph Dumons s’est éteint le 25 mars 1779, après avoir servi les Manufactures de la Couronne pendant 48 ans.
L’arrivée de Jean-Joseph Dumons à Aubusson marque un tournant dans l’histoire des Manufactures royales de la ville. Nommé par le Roi en 1731, il n’est pas encore académicien. Selon C. Pérathon, Dumons doit cette nomination à Louis Fagon, Intendant des Finances et acteur du relèvement de la Manufacture de Beauvais, où il avait nommé Oudry. Le peintre-cartonnier crée des compositions simples d’une exécution aisée. Il adapte des peintures ou reprend des tentures tissées auparavant à Beauvais. Les tapissiers d’Aubusson accueillent ce mouvement de renouveau avec enthousiasme, eux qui avaient été victimes d’une pénurie de modèles avant 1730.
Entre 1732 et 1753, Dumons dessine vingt tentures pour la Manufacture d’Aubusson et seulement deux pour celle de Felletin. La première tenture qu’il livre, une verdure aux animaux tissée par l’atelier de Pierre Mage, rencontre un immense succès. Selon Laboreys de Châteaufavier, Inspecteur des Manufactures, Dumons aurait été conseillé par Oudry pour cette réalisation. Parmi ses travaux, on remarque Les Grands Rideaux, tenture en six pièces dans lesquelles un rideau s’ouvre sur la scène principale, et une variante de la tenture chinoise de Boucher exécutée à Beauvais, réalisée à la demande du marchand-fabricant aubussonnais Jean-François Picon. La plupart de ces tapisseries appartiennent aujourd’hui à des collections particulières ou sont dispersés dans les collections publiques du monde entier.
D’abord peintre animalier, Oudry a influencé la production aubussonnaise, notamment comme conseil du peintre du Roi Jean-Joseph Dumons, dans laquelle les verdures occupent une place centrale. Ses cartons des Métamorphoses, dont l’originalité réside dans la représentation des personnages transformés en animaux et non pas le processus de transformation, qui n’avaient eu que peu de succès à Beauvais, se sont diffusés en Europe à partir d’Aubusson.
Né en 1686 à Paris, Jean-Baptiste Oudry commence très jeune son apprentissage de la peinture avec son père, peintre et doreur, membre de l’Académie de dessin et marchand de tableaux. En 1719, il entre à l’Académie pour une peinture animalière mais il produit beaucoup et dans différents domaines : le portrait, la peinture d’histoire, les chasses, le paysage, les animaux, les fleurs, etc. Ordre lui est donné en 1728 de suivre les chasses de Louis XV, dont résultera son chef d’œuvre, Chasses royales de Louis XV, un portrait de la meute royale, qui lui vaut d’être nommé adjoint à professeur à l’Académie. Cette peinture deviendra son unique tissage aux Gobelins.
En 1734, Louis Fagon, Intendant des Finances, lui confie la direction artistique de la Manufacture de Beauvais, fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1755. L’administration Oudry permet de redresser la manufacture, qu’il réorganise. Il crée une école de dessin pour les tapissiers et, à partir de 1738, se décharge de la fourniture de cartons, confiée à Boucher et Natoire. Deux ans auparavant, il avait également été nommé Inspecteur des Gobelins pour surveiller l’exécution de ses tapisseries des chasses royales. Il lui est souvent reproché d’avoir asservi la tapisserie à la peinture, passant sous silence le caractère décoratif et textile spécifique à la tapisserie.
Jean-Joseph Dumons, peintre du Roi à la Manufacture d’Aubusson, a puisé dans les œuvres d’Oudry pour réaliser des cartons de tapisseries pour les lissiers d’Aubusson. Bien qu’il ne se soit jamais rendu à Aubusson, Oudry a conseillé Dumons pour la réforme de la Manufacture, exerçant ainsi une sorte de tutelle indirecte sur la production de cartons pour la Manufacture Royale d’Aubusson.
Après 1750, suite aux demandes répétées des tapissiers aubussonnais de bénéficier de cartons différents de verdures, l’administration royale envoie à Aubusson trois séries de cartons d’Oudry : les Amusements champêtres, les Comédies de Molière et les Métamorphoses en animaux. Ces derniers (d’après l’œuvre d’Ovide) sont d’une importance capitale pour la relance de la production aubussonnaise. Ces modèles, qui n’avaient pas obtenu le succès escompté à Beauvais, sont envoyés à Aubusson, d’où ils vont se diffuser à l’Europe entière. Toutes les tentures d’Oudry sont reprises dans les ateliers marchois, écrivant ainsi l’une des plus belles pages de l’histoire de la tapisserie d’Aubusson.
Avec plus de 400 tapisseries originales produites de son vivant, Jean Picart Le Doux est considéré comme un grand maître de la tapisserie d’Aubusson.
Fils du peintre Charles Picart Le Doux, l’autodidacte Jean Picart Le Doux débute dans la reliure et dans l’édition, puis dans les arts graphiques (affiches et couvertures de revues). Il remporte le Grand Prix de l’affiche de théâtre au Salon de l’Imagerie en 1943. C’est alors qu’à la demande du décorateur Jules Leleu, il commence à exécuter des cartons de tapisserie pour la décoration du paquebot La Marseillaise.
De la même génération que Lurçat, il devient vice-président de l’APCT (Association des peintres-cartonniers de tapisserie) et reste très proche des conceptions de Lurçat. Il a en effet le souci d’une tapisserie décorative et accessible à tous, élaborée à partir d’une composition classique et exploitant au maximum les multiples possibilités offertes par la teinture des laines. Les couleurs sont pour lui à la fois des ornements et le moyen de faire éclater les oppositions : le jour et la nuit, le ciel et la terre, l’ombre et la lumière…
À Aubusson, l’atelier Berthaut tisse ses principaux modèles. Ses œuvres tissées mettent en scène des représentations allégoriques (du temps, de l’univers) mais aussi des sujets figuratifs simplement destinés à plaire et décorer (cages aux oiseaux, chaluts remplis de poissons et de coquillages…).