Les artistes de la tapisserie

Yves Millecamps (né en 1930)

Le peintre Yves Millecamps a fait tisser plus d'une centaine de tapisseries à Aubusson et Felletin.

Yves Millecamps est né en 1930 à Armentières (Nord). Ancien élève de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, il vit et travaille à Poissy et à Saint-Germain-en-Laye.

Attiré dès ses débuts de créateur par l’art mural, il rencontre Jean Lurçat et il compose alors sa première tapisserie, Fond de mer, tissée à Aubusson en 1955 par l’atelier Andraud-Dethève. Après s’être livré pendant plusieurs années à des recherches picturales et plastiques diverses, il exécute en 1963 sa première peinture dans un style géométrique abstrait. Ce style, qui cherche l’harmonie d’ensemble par la rigueur du trait, évoluera régulièrement dans la peinture de Millecamps, mais aussi dans ses tapisseries qui deviennent de plus en plus épurées, jouant du contraste entre les lignes et les surfaces colorées.

Plus d’une centaine de modèles de l’artiste ont été tissés à Aubusson, principalement à l’atelier Pinton. Ces œuvres sont entrées dans des collections particulières ou publiques, comme le grand panneau Les Sciences physiques et chimiques, plus de treize mètres de long, qui décore un mur de l’université de Rennes 1. La galerie parisienne La Demeure, galerie consacrée pendant plus de trente ans à la diffusion de l’art de la tapisserie dans le monde, a souvent présenté les tapisseries de Millecamps, notamment dans deux expositions monographiques en 1969 et en 1973. L’univers de ce peintre cartonnier et son intérêt pour le savoir-faire d’Aubusson ont récemment été mis en lumière par un travail universitaire et une importante monographie (voir la bibliographie).

Yves Millecamps est élu à l’Académie des beaux-arts, section peinture en juin 2001.

Bibliographie récente

L’œuvre tissé d’Yves Millecamps : catalogue. Alibert (Muriel), Toulouse, 2000 (mémoire de maîtrise)

Millecamps : tapisseries 1956-1975. Denizeau (Gérard). Paris : Somogy, 2012

L'Art chemin faisant : les oeuvres de l'université de Rennes 1. Cormier (Clarence) ; préface de Patrick Navatte.- Rennes : Université de Rennes 1, 2003.

Hommage du Nord-Pas-de-Calais à Yves Millecamps : peintures (1971-2002). Catalogue d’exposition, Noroit, Arras, 15 mars – 16 mai 2003.

Les artistes de la tapisserie

Paul Jouve (1878-1973)

Né près de Fontainebleau en 1878, Paul Jouve est le fils du peintre et céramiste Auguste Jouve.

Le jeune Jouve grandit à Paris, entre l’atelier de son père et les promenades au Jardin des Plantes et au Museum d’histoire naturelle, où il admire les animaux sauvages, les grands fauves en particulier, qu’il commence à dessiner très jeune.

Inscrit à l’École des Arts décoratifs, puis aux cours de l’École des Beaux-Arts, sa formation ressemble pourtant plutôt à celle d’un autodidacte, guidé par son père. Paul Jouve préfère dessiner seul, sur le vif, devant le sujet. Il étudie les poses et les déplacements des félins, cherchant à traduire leur extraordinaire souplesse. Dès la fin du XIXe siècle, il expose dans les Salons comme le Salon de la Société des Artistes français ou encore le Salon de la Société nationale des Beaux-Arts, et devient membre de la Société des Artistes décorateurs. Il rencontre alors les laqueurs Jean Dunand et Gaston Suisse, qui deviendra un ami proche, le sculpteur Bugatti, Marcel Bing (fils du marchand et galeriste Samuel Bing), et participe régulièrement aux expositions, présentant ses dessins animaliers au fusain et ses sculptures en bronze, bien accueillis par les critiques.

Jouve voyage beaucoup et la découverte de nombreux pays – en Afrique du Nord et en particulier l’Algérie, la Grèce, l’Indochine, l’Egypte – influence son travail, lui inspirant des scènes et des paysages d’Orient appréciés.

Déjà au sommet de son art avant 1914, les années d’après-guerre voient sa consécration. Ses talents d’illustrateurs lui valent des commandes importantes et il fournit de nombreuses planches, par exemple, pour Le Livre de la Jungle de Kipling, Le Livre des bêtes qu’on appelle sauvages de Demaison ou pour Paradis terrestres de Colette.

Paul Jouve meurt en 1973.

« Couvert de gloire et d’honneurs, commandeur de la Légion d’honneur, membre de l’Institut de France et de l’Académie royale de Belgique, représenté dans de multiples musées, tant en France qu’à l’étranger et dans de prestigieuses collections, on peut dire que Paul Jouve n’a cessé un seul jour de vivre et travailler pour le dessin, la peinture, la sculpture et la gravure du monde animal. » Félix Marcilhac

Les artistes de la tapisserie

Victor Vasarely (1908-1997)

Avec Jean Lurçat et ses suiveurs peintres-cartonniers, le mouvement de renaissance de la tapisserie dans les années 1950 a apporté des thèmes renouvelés mais toujours sur un mode représentatif traditionnel. Pourtant, ce mouvement a également porté des explorations graphiques plus diverses : l’expérience de la voie abstraite, avec pour chef de file Victor Vasarely.

En 1951, le plasticien Victor Vasarely est déjà un maître de l’Op’Art, art optique. Il expose ses tableaux à Paris, dans la galerie de Denise René, présentant essentiellement des peintres de l’abstraction géométrique. Vasarely a alors l’idée de composer un carton étudié pour la tapisserie, et il prend contact avec François Tabard, directeur d’un des ateliers les plus importants d’Aubusson : c’est le début d’une longue et fructueuse collaboration entre le peintre, l’atelier et la galerie, jusqu’en 1976.

Il peut sembler surprenant que ce peintre de l’illusion optique, dont la production et les recherches picturales sont considérées à l’époque comme un mouvement d’avant-garde, s’intéresse aux possibilités offertes par le support "tapisserie". En fait, Vasarely veut expérimenter ses inventions : "J’accrois une dimension et je développe mes abstractions dans l’espace (fonctions polychromes, fonctions sculpturales)."

Le rôle essentiel de la couleur dans les constructions bâties par Vasarely a mis en avant le savoir-faire des teinturiers et des coloristes de l’atelier Tabard. L’impact optique et l’illusion de mouvement de la plupart des modèles imaginés par l’artiste reposaient sur un réseau géométrique très précis de segments liés les uns aux autres, et là encore la réalisation du carton demandait une certaine expérience. Vasarely a trouvé à Aubusson la possibilité d’appliquer ses expériences cinétiques et la tapisserie a trouvé avec lui un nouvel espace, en parallèle du "groupe Lurçat".

Les artistes de la tapisserie

Robert Wogensky (1919-2019)

Ce serait la découverte de Guernica de Picasso qui aurait décidé Robert Wogensky à devenir peintre. Décédé en 2019, il fut l'un des derniers de la génération de peintres cartonniers ayant fait ses premières armes dans le sillage de Jean Lurçat, pouvant se prévaloir d’un véritable "œuvre tissé".

Robert Wogensky rencontre Lurçat après la Libération ; il appréhende avec lui la technique du carton de tapisserie. Puis c’est Denise Majorel qui lui ouvre les portes de sa galerie La Demeure.

Les thèmes qu’il aborde sont un hymne à la nature : les Eaux, les Constellations, les Feux, les Oiseaux. Ce dernier motif, dont la forme en vol se prête bien à une étude sur la ligne, est récurrent dans son œuvre de cartonnier : Plein ciel, Les Migrateurs, Sillages, Tire d’Ailes...

D'abord traités de façon figurative, les oiseaux s’épurent et se fondent dans un espace infini. Contrairement à d’autres peintres cartonniers, Wogensky, une fois "entré en tapisserie", n’a pas abandonné la peinture de ses débuts, et son travail de peintre sur le trait et la trajectoire rejaillit dans ses cartons de tapisserie.

Des recherches techniques engagées par l’artiste avec l’atelier de Camille Legoueix à Aubusson, dans les années 1970, ressortent des combinaisons, dans une même tapisserie, de différentes grosseurs de points et de couleurs, qui procurent une dynamique aux formes en mouvement. C’est un art "assoupli" qui naît.

Les artistes de la tapisserie

Raoul Dufy (1877-1953)

Si Dufy est surtout connu pour sa peinture, il s’est intéressé à beaucoup d’autres domaines des arts décoratifs : la gravure sur bois et la lithographie pour l’illustration d’ouvrages, la céramique, l’impression sur étoffe, la décoration d’intérieur et les décors de théâtre et la tapisserie.

L’aventure textile commence pour Dufy avec le couturier et décorateur Paul Poiret, vers 1910 ; ensemble, ils créent des vêtements et des tissus d’ameublement, mais aussi des "tentures" avec le même procédé d’impression sur tissu mais dans des dimensions qui l’amènent à travailler ses motifs en d’amples compositions, proches de celle des tapisseries. Comme Paul Poiret, Dufy dessine des modèles de sacs à main en laine et soie tissés à la manufacture de Beauvais à la fin des années 1920.

Réfugié dans le sud de la France au début des années 1940, les contacts de Dufy avec Aubusson se nouent grâce à Lurçat rencontré à Perpignan et à la collectionneuse Marie Cuttoli, qui souhaitait relancer l’art de la tapisserie à partir de tableaux de grands peintres. Il réalise les tapisseries Bel Eté (collection du musée du Havre) et Collioure, tissées par l’atelier Tabard. C’est pour lui l’occasion d’expérimenter la méthode du carton numéroté réactualisée par Lurçat. Il peint plus tard de nouveaux cartons de tapisserie pour la galerie Louis Carré.

Surnommé "peintre de la joie", Dufy signe des œuvres légères, fraîches et colorées. Ce passionné de musique a fait des orchestres son sujet de prédilection, tentant faire sonner les instruments et les rythmes avec des formes, des couleurs et leur mouvement.

Les artistes de la tapisserie

Michel Tourlière (1925-2004)

D’abord professeur à l’École Nationale d’Arts Décoratifs (l’ENAD) de la ville d'Aubusson, où se formaient les lissiers, il en est ensuite devenu directeur jusqu’en 1969, date à laquelle il est parti à Paris diriger l’ENSAD.

Creusois par une partie de sa famille, Bourguignon de l’autre (il est né à Beaune), Michel Tourlière était bien connu des Aubussonnais.

Il a 20 ans seulement lorsqu’il fait tisser sa première tapisserie, Le Vigneron, acquise par le musée du Vin à Beaune. Ses premiers modèles sont encore figuratifs, et c’est un peu plus tard qu’il va trouver son style, bien reconnaissable grâce à l’utilisation fréquente qu’il fait de la technique du piqué, technique qui permet d’obtenir un effet de longues rayures plus ou moins chargées en laine noire.

Tourlière a souvent suggéré ainsi les paysages du vignoble de Bourgogne, et surtout les sillons de vigne. La gamme soignée de ses couleurs, souvent des rouges sombres mêlés à des ocres, avec quelques aplats blancs, le découpage presque systématique de la surface en plans soulignés d’un fil de couleur, l’alternance étudiée entre des zones d’ombre et des zones de lumière, confèrent à ses tissages élégance et sobriété, on pourrait presque dire classicisme.

Michel Tourlière était le président de la société des Amis du musée d’Aubusson à sa création.

Les artistes de la tapisserie

Marcel Gromaire (1892-1971)

Marcel Gromaire est à la fois peintre, décorateur, illustrateur, graveur, et même linguiste. Dans les années 1940, il séjourne à Aubusson et crée des cartons de tapisserie, participant activement à son renouveau avec Jean Lurçat.

Bachelier en droit, Gromaire abandonne la carrière juridique pour se consacrer à la peinture, à laquelle sa famille le sensibilise dès l'enfance. Ses toiles se caractérisent par une construction géométrisante, des lignes puissamment cernées. Influencé par l’atmosphère qu’il retient de ses visites des pays du Nord et par les primitifs romans ou gothiques, son style est marqué par des formes stylisées, puissantes et très construites.

La peinture, la gravure et le dessin occupent la plus grande place dans le travail de cet artiste, mais il s’intéresse aussi à l'art monumental, à travers le panneau mural, le vitrail et la tapisserie.

Après une première expérience aux Gobelins, où il fait tisser La Terre en 1938, Gromaire séjourne à Aubusson de 1939 à 1944. Il réalise onze cartons, la plupart tissés à l'atelier Goubely. La série des Saisons, où chaque saison est représentée par une région de France, est particulièrement remarquable. On peut citer également la tapisserie Aubusson (collection de la mairie de Lille), particulièrement représentative de l’impression laissée par Aubusson et sa nature environnante au peintre. Malgré la brièveté de son activité de peintre-cartonnier, ses œuvres font date dans l’art de la tapisserie. Chaque tissage impose une composition rigoureuse, un trait vigoureux et robuste, une certaine économie des couleurs et des jeux de clair-obscur.

Les artistes de la tapisserie

Marc Saint-Saëns (1903-1979)

Ce fresquiste, petit-neveu du compositeur Camille Saint-Saëns, vient à la peinture de cartons de tapisserie après une rencontre avec Jean Lurçat. Il fait tisser presque tous ses cartons à Aubusson, par l’atelier Tabard pour la plupart.

Grâce à son expérience de fresquiste, Marc Saint-Saëns est sensibilisé aux problématiques de l’art mural et aux compositions monumentales. Il utilise ce savoir-faire dans des modèles destinés à la tapisserie, en privilégiant la clarté et la force du sujet plutôt qu’une représentation détaillée du réel mais sans jamais négliger l’élément décoratif.

Sa production, abondante, est marquée par un style très reconnaissable, élégant et coloré. Les thèmes s’inspirent de la nature (suite des Saisons, suite des Eléments), de la mythologie et du théâtre (Commedia dell’arte). Une de ses pièces les plus connues, Thésée et le Minotaure (1943), figure dans les collections du MNAM - Centre Pompidou. La ville de Toulouse, où Saint-Saëns est né, conserve plusieurs de ses œuvres, aussi bien dans des collections particulières que dans des édifices publics (une série de quatre grandes tapisseries a été commandée par la municipalité en 1950 pour décorer le théâtre du Capitole).

Très impliqué dans la création de modèles de tapisseries, il fonde, avec Jean Picart Le Doux et Jean Lurçat, l’Association des peintres cartonniers en 1947.

Les artistes de la tapisserie

Lucien Coutaud (1904-1977)

La gloire des Lurçat, Gromaire, etc., a sans doute occulté pendant un temps Lucien Coutaud. Les éléments de son univers, entre rêve et fantastique, la création exutoire totalement liée à la vie intérieure de l’artiste, étaient sans doute déroutants pour l’amateur de tapisseries. Mais son style reste incomparable parmi les peintres cartonniers de sa génération.

Après des études de peinture, il rencontre plusieurs personnalités du théâtre et de la critique littéraire. Pour Charles Dullin, pour Jacques Copeau et Jean-Louis Barrault, il compose des décors et des costumes de scène.

Deux rencontres, avec la collectionneuse Marie Cuttoli, qui cherche auprès des peintres des idées de modèles qu’elle fait tisser à Aubusson, puis avec Jacques Adnet le décorateur de la Compagnie des Arts français, l’amènent à la tapisserie. L’atelier Pinton à Felletin tissera la plupart de ses cartons.

Ses modèles montrent des personnages étranges et mélancoliques, dont les corps se transforment en végétaux ou bien se durcissent en formes métalliques hérissées de pointes… Les thèmes obsessionnels et oppressants de sa peinture (érotisme, angoisse, sensation de vide, d’incommunicabilité...) se devinent encore mais se font plus discrets dans ses tapisseries. En 1985, selon la volonté de sa veuve, le musée a reçu en don les maquettes et cartons de l’artiste.

Les artistes de la tapisserie

Le Corbusier (1887-1965)

"La tapisserie à domicile répond à un légitime désir poétique." En 1936, la collectionneuse Marie Cuttoli demande à Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, de réaliser son premier modèle pour une tapisserie. Entre cette date et 1965, année de sa mort, le célèbre architecte réalise environ une trentaine de cartons, dont la plupart sont tissés par l'atelier Picaud à Aubusson, et par l'atelier Pinton à Felletin.

En réalité, la véritable carrière de Le Corbusier en tant que peintre-cartonnier commence en 1948, lorsqu’il compose pour la première fois un carton (et non plus un tableau, adapté en carton de tapisserie par les ateliers de tissage) grâce à sa collaboration avec Pierre Baudouin, peintre et professeur d’histoire de l’art à l’ENAD Aubusson, qui le met en contact avec les ateliers d'Aubusson et l’initie au langage propre au carton de tapisserie. Pierre Baudouin assure alors le suivi de presque toutes les tapisseries de Le Corbusier.

L’architecte trouve dans cet art un nouveau terrain d’application de ses recherches murales, et il apprécie l’aspect de décor « nomade » d’une tapisserie que l’on peut enlever ou déplacer à sa guise dans un monde où l’homme bouge beaucoup.

Il privilégie dans ses compositions la pureté de la ligne, des pleins et des déliés, mis en valeur avec des fonds très simplifiés et rehaussés seulement par quelques aplats de couleur. Les modèles de Le Corbusier expriment l’influence du cubisme (ellipse dans les formes, couleurs décalées par rapport au motif, effets de collages…) mais son style est surtout reconnaissable dans les thèmes (celui de la main par exemple), dans le tracé très mince, dans l’utilisation fréquente en arrière-plan de zones grillagées ou quadrillées en noir et blanc.