Jean Lurçat (1892-1966) est considéré comme l'artiste emblématique de la tapisserie, qui a su relancer la création aubussonnaise au milieu du XXe siècle.
Après les études du lycée et une première année de médecine, le Vosgien Lurçat entre dans l’atelier de Victor Prouvé, directeur de l’Ecole de Nancy, où il fait son apprentissage de peintre et de fresquiste. Parti à Paris en 1912, il y rencontre des personnes passionnées par l’art : des galéristes, des collectionneurs, des marchands, mais aussi des écrivains et des poètes. Ces années parisiennes façonnent Lurçat. Très actif, il s’implique dans la vie culturelle et politique de son époque, il noue des relations qui seront certainement des atouts pour son succès futur.
Pendant la guerre, au cours d’une période de convalescence due à une blessure, il peint des aquarelles. C’est à ce moment-là que sa mère se met à transformer les peintures de son fils en grands canevas (technique du point à l’aiguille). Entre 1919 et les années 1930, Lurçat confie ses nouveaux tableaux à Marthe Hennebert, son épouse, qui sera interprète et brodeuse pour les canevas suivants. Pour la boutique de Marie Cuttoli, il dessine aussi des modèles, de tapis au début, puis pour une première tapisserie, que Marie Cuttoli (d’origine corrézienne) envoie à Aubusson, dans l’atelier Delarbre. C’est le premier lien entre Lurçat et Aubusson. Mais jusqu’en 1939, Lurçat est surtout connu comme peintre ; il envisage même une carrière aux Etats-Unis, où ses tableaux sont très appréciés.
Tout s’accélère un peu avant la guerre, lorsque le directeur des Manufactures nationales, Guillaume Janneau, qui connaît le travail de Lurçat depuis les années 1920, lui passe une importante commande pour un ensemble mobilier et tapisserie (tissé aux Gobelins).
Il lui confie surtout une mission à Aubusson avec Gromaire et Dubreuil. Avec le soutien et les conseils de quelques Aubussonnais de la profession (Maingonnat, Tabard…), les trois peintres deviennent à Aubusson des "peintres-cartonniers", et ils créent chacun de nombreux modèles, remarqués par la force inédite de leur expression et par leurs gammes de couleurs. Le renouveau de la tapisserie démarre alors et Lurçat en est considéré comme le fondateur.
Émile Gilioli est l’un des chefs de file de la sculpture abstraite d’après-guerre, aux côtés de Brancusi et de Arp. Comme beaucoup de ses pairs, il s’inscrit dans le mouvement de la tapisserie de peintres abstraits.
Né à Paris dans une famille de cordonniers italiens, Émile Gilioli est très vite fasciné par le dessin et le travail des matériaux. Il reçoit une formation extrêmement complète : artisanale dans un premier temps, chez un forgeron italien et dans l’atelier d’un sculpteur spécialisé dans l’ornement des façades et des jardins à Nice, où sa famille s’installe après la Première Guerre mondiale ; puis aux Arts décoratifs de Nice et aux Beaux-Arts de Paris pour suivre les cours d’un atelier de sculpture.
Installé à Grenoble en 1940, il rencontre l’artiste Pierre-André Farcy (dit Andry-Farcy), alors conservateur du musée des Beaux-Arts de Grenoble. Il approfondit avec lui sa connaissance de l’art contemporain et notamment de la peinture abstraite et du cubisme. Inspiré à la fois de la statuaire grecque et de l’ancienne Egypte, et du cubisme, son style lui vaut de réaliser nombre de commandes publiques, destinées, entre autres, à quelques hauts lieux de la Résistance dans la région de Grenoble.
En 1949, il est nommé vice-président du groupe Espace animé par Bloc, Léger et Le Corbusier. Ayant rejoint les "poulains" de la galerie Denise René – qui amène son groupe de peintres abstraits à la peinture de cartons de tapisserie, tissés pour la plupart par l’atelier Tabard –, Gilioli rencontre Raymond Picaud, lissier à Aubusson, et s’essaie à l’art de la tapisserie.
Artiste phare de la sculpture abstraite, Gilioli reste fidèle à ses principes de sobriété, dans la forme et dans la couleur avec la laine : trait ferme et sans ornement, jeu d’oppositions entre masses blanches et noires.
Artiste issu d'une vieille famille aubussonnaise, Élie Maingonnat descend d’une longue lignée de tapissiers. Plus attiré par l'aspect graphique du métier que par le tissage artisanal, il se consacre à la peinture de cartons de tapisseries. Parallèlement à sa carrière de peintre-cartonnier, il a été directeur de l’ENAD (École Nationale d’Arts Décoratifs) d’Aubusson de 1930 à 1958.
Élie Maingonnat joue un rôle important dans la période de renouveau de la tapisserie. Après une rencontre avec Jean Lurçat à Paris lors d’une exposition, il l'invite en 1937 à venir étudier la tapisserie d’Aubusson.
Ses oeuvres, toujours très composées (il a débuté sa carrière comme professeur de dessin), sont liées aux scènes de la vie rurale qu'il observe dans les villages autour d’Aubusson. Peintre du dehors, ses sujets favoris sont la végétation et la faune du Limousin. Ses modèles sont le fruit d'une exploration régulière et attentive de la nature, des paysages et des sous-bois. La Creuse, Le Thaurion (ruisseau du département), Aubusson, Les Fougères, sont des titres révélateurs. Les bordures des tapisseries qu'il dessine sont souvent animées de motifs animaliers typiques des forêts limousines (blaireaux, belettes, hermines ou huppes).
Amené à la tapisserie par Jean Lurçat, cet artiste atypique (un moine) profondément inspiré par la contemplation de la nature est l’un des peintres-cartonniers les plus féconds et les plus admirés du XXe siècle…
Après un difficile passage au collège des jésuites de Poitiers, Dom Robert (né Guy de Chaunac-Lanzac) suit des cours aux Arts décoratifs de Paris. Il entre à l’abbaye bénédictine d’En Calcat (Tarn) en 1930, grâce à ses relations avec le philosophe Jacques Maritain et le compositeur Maxime Jacob, étudie la philosophie et la théologie et est ordonné prêtre en 1937. Il se remet alors à dessiner et à peindre.
Lorsque Jean Lurçat, de passage à En Calcat, découvre les aquarelles et enluminures du moine, l’originalité et la puissance de ses œuvres le frappent ; il persuade Dom Robert de venir à Aubusson et de se mettre à l’art du peintre-cartonnier.
A partir de 1941, date de son premier carton (pour le tissage de L’Eté, à l’atelier Tabard) et jusqu’en 1993 (avec Chèvres du Larzac, à l’atelier Goubely), Dom Robert consacre la majeure partie de ses travaux artistiques à la tapisserie, et son travail est reconnu dès ses premières œuvres. Le lissier François Tabard le met en relation avec Denise Majorel et la galerie La Demeure, à laquelle il reste fidèle toute sa vie, et il ne s’arrête plus de produire.
Pendant 50 ans, la vie de Dom Robert est faite d’observation de la nature, d’esquisses, de dessins, d’élaboration de cartons, de traduction numérotées des couleurs, de suivi des tissages dans les ateliers d’Aubusson.
Dom Robert garde de ses travaux d’enluminures le goût de la couleur, le souci du détail, de l’ornementation. Il avance à petites touches, un motif après l’autre, ajoutant çà et là une ombelle, un cerf ou un papillon, dans des œuvres toujours luxuriantes et vives :
« Dans une tapisserie, on se promène, on flâne. Un détail vous conduit à un autre, un rouge mène au bleu. […] Pour faire court, disons que la peinture est un art d’espace tandis que la tapisserie est davantage un art du temps. »
Son incroyable fécondité a donné une collection de tapisseries dont le succès ne se dément pas, si l’on en croit le nombre de visiteurs attirés à chaque exposition Dom Robert.
Antoine Jorrand, né à Aubusson, fait ses études à Bordeaux, puis entre à Paris dans l’atelier de Jean-Paul Laurens. Il s’oriente vers les cartons de tapisseries, expose au Salon des Artistes français, puis prend la direction artistique de la manufacture familiale à Aubusson.
Les productions d’Antoine Jorrand, rattachées à une période allant la fin du XIXe siècle, vers 1890, jusqu’à 1914 environ, sont très significatives. Elles illustrent les premiers efforts d’artistes pour dégager la tapisserie de l’imitation de la peinture et surtout des modèles du XVIIIe siècle, copiés et recopiés. Antoine Jorrand, élève de Jean-Paul Laurens, ami de Bellery-Desfontaines, disciple d’Henri Martin, cherche dans ses cartons de tapisserie à retrouver l’aspect décoratif et monumental de la tapisserie ancienne ; il se passionne pour l’architecture et la décoration médiévale.
Ses créations, régulièrement exposées dans divers Salons et à l’Exposition universelle de 1900, montrent le même univers poétique et mystérieux où de longues silhouettes féminines à chevelure ondoyante évoluent parmi une végétation touffue et fleurie. « La tapisserie, ce doit être une fable ou une légende accrochée au mur », écrivait cet artiste mystique, proche de la nature et passionné par les récits imaginaires du Moyen Âge. L’influence de l’Art Nouveau se remarque surtout dans les bordures de ses modèles, souvent très ornementales. Le musée possède une pièce de Jorrand, La Fée des Bois, datée 1911 ; tissée à la manufacture Croc-Jorrand-Danton, entreprise familiale dont Antoine Jorrand était devenu directeur artistique, c’est aussi une pièce d’archive. Le carton peint de cette oeuvre existe dans une autre collection d’Aubusson, celle de l’Ecole Nationale d’Arts Décoratifs.
Au début du XXe siècle, la manufacture Danton a remplacé l’ancienne filature Croc-Richen au bord de la Creuse, à l’entrée de la rue des Tanneurs. Très active avant la guerre de 1914-1918, elle emploie alors une centaine d’ouvriers de basse-lisse confectionnant des tapisseries ou du mobilier. L’usine dispose de sa propre teinturerie au bord de la rivière, de magasins de stockage des laines et d’ateliers situés dans les étages.
Elle est dirigée à cette époque par Frédéric Danton, apparenté à la famille Jorrand. Personnage atypique, il fut à la fois manufacturier, homme politique, agriculteur ou encore mécène. Outre la direction de la fabrique de tapisseries d’Aubusson et d’ateliers à Bellegarde, il dirigea pendant quelques temps une fabrique de céramique qui, située dans le quartier du Got Barbat, donna quelques pièces remarquables. Conseiller général d’Aubusson dès 1910, vice-président de la Chambre de Commerce et d’Industrie, il ne put cependant jamais prétendre à une carrière politique nationale échouant par trois fois, entre 1912 et 1919, lors des élections législatives. Il resta donc très investi dans la vie locale, comme membre du conseil des Prud’hommes ou du comice agricole du canton d’Aubusson étant propriétaire d’une grande exploitation sur la commune de Saint-Alpinien d’où était originaire sa famille ou comme fondateur de la société d’horticulture de l’Arrondissement. Touche-à-tout, il fut également le mécène de l’aviateur champagnatois François Denhaut dont il finança les essais du 3e prototype, appareil dénommé "le Danton".
Malheureusement, les difficultés des années 1920 l’obligèrent à fusionner avec les établissements Croc-Jorrand pour former une seule entité dont la raison sociale était "Aux Fabriques d’Aubusson". Cette société, dont le siège social était installé à Paris, au 13 rue Lafayette, avait un capital de 4 à 5 millions de francs et employait encore quelques 235 ouvriers. Mais la crise économique eut raison de l’entreprise qui fit faillite en 1932. Frédéric Danton ne le vit pas puisqu’il mourrut le 03 juin 1929 à son domicile parisien situé au 23 Rue Richelieu.
L’usine fut ensuite démolie pour laisser place à la Poste actuelle à partir de 1956.
D'après un texte de Romain Bonnot, professeur d'histoire-géographie à Aubusson.
L’Atelier Tabard, du fait de sa grande longévité, est le reflet des évolutions de la production aubussonnaise de tapisseries. Delphine Quéreux le souligne dans sa thèse: "(…) à travers l’histoire de l’atelier Tabard, (…) c’est l’ensemble de l’histoire de l’industrie de la tapisserie qui transparaît : les débats esthétiques qui agitent Aubusson, mais aussi l’organisation de la production, très artisanale, ainsi que la vente."
Bien que l’histoire familiale et professionnelle des Tabard s’inscrive dans la longue durée, c’est la troisième génération, représentée par François Tabard, qui a marqué de façon durable la production aubussonnaise de tapisserie.
François Tabard, un entrepreneur de premier plan dans la rénovation du XXe siècle
1937 constitue une année charnière pour l’Atelier Tabard : c’est le moment de la rencontre avec Jean Lurçat, qui va permettre de renouveler la production à une période où Aubusson prend conscience qu’un effort esthétique doit être fait pour relancer les ventes. Il ne suffit plus de produire des copies d’anciens mais de créer de nouveaux modèles.
Avec le carton Moissons, pour lequel Jean Lurçat met au point le principe du carton numéroté, une collaboration étroite et régulière, bien que non exclusive, commence. L'artiste devient rapidement le principal collaborateur de l’Atelier Tabard, jusqu’à sa mort en 1966 : il est l’auteur de près de la moitié des 4500 panneaux modernes fabriqués entre 1935 et 1983.
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, François Tabard prend la décision d’orienter toute la production vers la tapisserie moderne. Pour appuyer cette nouvelle orientation, il intervient en faveur de la création d’un atelier-école à Aubusson dans le but de former des professionnels spécialisés dans ce type de tapisseries reprenant les formules simples du Moyen Âge. En 1950, cet établissement sera fusionné avec l’École Nationale d’Arts Décoratifs de la ville.
L’Atelier Tabard, porteur d’une vision moderniste pour Aubusson
L’Atelier Tabard a fait preuve d’un grand activisme au niveau local pour unir la profession. En 1933, une chambre syndicale des fabricants de tapisseries est créée, dont la présidence est confiée à François Tabard. Également Président de la Chambre de Commerce de Guéret, il devient le porte-parole de l’industrie de la tapisserie auprès des pouvoirs publics.
Parallèlement à cela, l’Atelier Tabard a su renouveler les méthodes de travail pour faciliter l’insertion d’Aubusson dans de nouveaux circuits commerciaux, essentiellement basés sur l’artiste et la galerie. La galerie est, selon les cas, un simple intermédiaire de vente, à l’instar de La Demeure de Denise Majorel, ou éditeur de la tapisserie comme la Galerie Denise René. Cette dernière, en exclusivité avec l’Atelier Tabard, édite, pendant plus de 20 ans, des noms prestigieux de l’art contemporain comme Victor Vasarely, Jean Arp ou Sonia Delaunay.
Avec Victor Vasarely, l’Atelier Tabard développe le principe du carton photographique, une révolution dans les méthodes de travail aubussonnaises. Ces évolutions modifient profondément les relations entre l’artiste et le fabricant. Ce dernier doit assumer un rôle nouveau de collaborateur de créateur alors qu’il est en partie dépossédé de sa traditionnelle activité commerciale.
Une solidarité familiale très forte au fondement de l’entreprise
Les Tabard sont une très vieille famille de tapissiers : dès 1637, des membres de la famille se dédient à la production de tapisserie. Cependant, ce n’est qu’en 1869 que François Tabard, le grand-père, crée son atelier, duquel sort une production de second ordre. Son fils, Léon, qui reprend l’entreprise familiale, installée à La Terrade à partir de la fin du XIXe siècle, se fait déjà le porteur d’une volonté modernisatrice. Étant donnée la difficulté de trouver des créateurs, il s’est appuyé sur le dessinateur de l’atelier, Élie Maingonnat, lui aussi défenseur d’une vision moderne de la tapisserie et qui deviendra le Directeur de l’ENAD d’Aubusson, succédant à Antoine-Marius Martin.
Bien que l’on retienne généralement le nom de François Tabard, Léon avait cédé l’entreprise familiale à ses quatre enfants, dont les rôles sont toujours restés les mêmes : Clémence s’occupait de la comptabilité et des écritures, Paul des teintures et des ateliers, Marie-Antoinette des activités de restauration et François de la prospection commerciale. Léon Tabard a ainsi posé les structures qui ont permis à son fils François de participer activement au renouveau de la tapisserie d’Aubusson dans la deuxième moitié du XXe siècle. En l’absence de descendance et de repreneur, l’Atelier Tabard a définitivement fermé en 1983.
L’histoire de l’Atelier Tabard est le reflet de la situation générale de l’industrie de la tapisserie aubussonnaise, notamment sa difficulté à trouver de bons modèles – malgré des périodes de grandes réalisations – et sa perméabilité aux phénomènes de mode, qui tend à entraîner des crises au moment des nécessaires reconversions.
Texte d'après Delphine Quéreux, "Les Tabard, fabricants de tapisserie à Aubusson de 1869 à 1983", Paris : École Nationale des Chartes (3 vol., 704 p. et un volume n.p.). Disponible en consultation au Centre de documentation de la Cité de la tapisserie.
À la fois tapissiers, peintres et marchands, les Roby ont su faire prospérer leur entreprise familiale en renouvelant régulièrement leur catalogue pour offrir à leurs clients des modèles à la mode.
Une entreprise familiale locale
La Manufacture Roby était une entreprise familiale locale à la tête de laquelle se trouvaient trois frères, qui dirigeaient chacun un atelier important. La première branche de la famille est celle de François Roby, dit "l’Aîné". Il était l’un de deux peintres chargés de l’enseignement du dessin dans les écoles mises en place par le Peintre du Roi, Jean-Joseph Dumons, qu’il a suppléé pour la fourniture de dessins de tapis de pied. Léonard Roby, dit "Le Jeune", est le deuxième des frères Roby. Enfin, Jean Roby et ses fils constituent la troisième branche de la famille. François Roby de Faureix, le fils de François Roby, était lui aussi peintre et tapissier. Après avoir étudié pendant 4 ans aux Gobelins au sein de l’Atelier d’Antoine Boizot, il a été chargé d’entretenir à Aubusson les cartons envoyés par la Couronne. C’est lui qui tenait les comptes de l’entreprise familiale.
Un catalogue riche et varié
Les Roby ont cherché à se procurer de nouveaux cartons pour renouveler régulièrement leur catalogue et l’adapter ainsi au goût du jour, stratégie commerciale qui s’est révélée très efficace. Léonard Roby a su choisir des sujets à la mode, qui était alors à la pastorale, aux scènes champêtres, de foire et de pique-nique après la chasse mais aussi à la mythologie galante. Il a ainsi acheté aux héritiers de Michel Audran, entrepreneur des Gobelins, des cartons d’après Étienne Jeaurat que ce dernier avait fait tisser pour son compte personnel : l’histoire de Daphnis et Chloé et des Fêtes de village, comédie satirique de Dancourt très à la mode durant tout le XVIIIe siècle. Il a également acquis des cartons originaux répondant aux attentes de la clientèle pour des scènes de chasse à petites figures. Par ailleurs, François et Léonard Roby écoulaient une partie de leur production auprès de leurs confrères Goubert et Picon, auxquels ils en confiaient la vente. Ils avaient également recours à des dépôts à la boutique parisienne de l’avocat et négociant Jean-Louis Rogier.
Une spécialité : les chasses
L’ensemble de "Chasses" réalisé par la Manufacture Roby constitue un ensemble bien spécifique de la production aubussonnaise du XVIIIe siècle, du fait de sa rareté. Certains des motifs des chasses ont été déclinés dans des garnitures de meubles, qui sont devenues, au moment de la Révolution, une activité centrale des Roby : la branche de Jean Roby et ses fils étaient en mesure de renouveler leurs dessins tous les trois mois. Malgré tout, le métier de peintre des Roby reste mal connu, à l’instar des autres peintres locaux. En effet, étant attachés à une manufacture, ils étaient condamnés à rester dans l’ombre. Sous l’Ancien Régime, les peintres de cartons avaient un rôle d’intermédiaire peu valorisé. Les cartons étaient alors considérés comme des instruments de travail, ce qui a contribué à l’effacement de leurs auteurs.
Texte d’après Pascal Bertrand, Aubusson Tapisseries des Lumières.
Les Picon sont une des familles de tapissiers (aujourd’hui "lissiers") d’Aubusson les plus fortunées au XVIIIe siècle.
La famille Picon est une famille de grands tapissiers mais aussi de très bons commerçants. Les Picon ont construit leur fortune en réunissant trois conditions nécessaires à un succès commercial : ils offrent une très bonne qualité de produit, s’appuient sur un excellent réseau de distribution et s’approprient les codes à la mode du moment.
Une très bonne qualité de produit
La Manufacture Picon avait une activité de tapissier mais aussi de teinturerie, de chevillage et de pliage. Jean-François Picon, le patriarche, est également devenu teinturier du Roi. Avec la famille Grellet, les Picon développent à Aubusson de nouvelles techniques provenant d’autres territoires, par exemple le moulinage de soies importé de Saint-Chamond dans la région lyonnaise. La famille Picon dispose donc d’un savoir-faire relatif aux différentes étapes de production de tapisseries. Si la quantité de tapisseries produites par cette manufacture reste stable au cours du XVIIIe siècle, la qualité, elle, va croissant. Ainsi, les Fêtes chinoises sont tissées d’un point régulier et fin, exécutées avec des laines et soies bien teintes. Il arrive parfois que les grands tapissiers comme Picon sous-traitent à des ateliers plus modestes la réalisation de certains travaux mais l’exigence de qualité est maintenue.
Un excellent réseau de distribution
Pour faire prospérer ses affaires, la famille Picon a su mettre en place des stratégies commerciales efficaces pour atteindre une clientèle internationale et renommée. Ainsi, ils s’appuient sur des correspondants dans des grandes villes, par exemple des tapissiers originaires d’Aubusson installés à Paris, rue de la Huchette ou rue Boucher. Ils disposent également de relais dans de grandes villes européennes. En outre, ils s’inscrivent dans une longue tradition de pratique de réseaux, se traduisant par une endogamie assez forte qui permet d’expliquer certaines collaborations et associations professionnelles. Ces réseaux permettent à la famille Picon de produire et d’écouler près de 20% des ouvrages en tapisserie et tapis fabriqués à Aubusson durant l’année 1755.
Une recherche de nouveaux modèles
La diversification de la production pour s’adapter au goût du jour constitue une autre facette de l’habilité commerciale de la famille Picon. Dans un système marqué à Aubusson par une règle tacite de non concurrence, les Picon ont fait des tapisseries exotiques et des chinoiseries leur spécialité. A la recherche de nouveaux cartons, ils ont retissé la Tenture chinoise, d’abord exécutée à Beauvais, puis se sont orientés vers la garniture de meubles et les tapis avec l’achat de modèles au peintre des Gobelins. Cette diversification des cartons et des sujets répond à une demande spécifique d’une clientèle internationale. Elle constitue également la réponse des tapissiers d’Aubusson à un besoin conjoncturel face à l’incapacité de Jacques-Nicolas Julliard, le peintre du Roi, à honorer ses contrats et à fournir de nouveaux modèles.
Cette famille de tapissiers a fait preuve d'un remarquable esprit d'entreprise, qui lui a permis de participer aux décors de la reconstruction de Lisbonne après le tremblement de terre de 1755.
La manufacture de tapis et tapisseries Coupé a été créée en 1905 par Marcel Coupé dans le village de Bourganeuf, à une trentaine de kilomètres d’Aubusson.
On dit que la manufacture a été installée à Bourganeuf et non à Aubusson pour bénéficier de la pureté de l’eau du Verger, le ruisseau qui borde le village, afin de réaliser des teintures de très bonne qualité, étape essentielle de la réalisation d'une tapisserie haut de gamme. D’ailleurs, Marcel Coupé n’est pas le seul à y trouver un intérêt : la manufacture de tapis et tapisseries Carré (connue également sous le nom de manufacture Schenk), concurrente directe, se situe sur la berge opposée. "Quand on en avait marre d’un patron, on traversait le pont et on allait se faire embaucher en face", nous explique Mme Châtaignier, ancienne lissière de chez Coupé et Carré.
La manufacture Coupé possède plusieurs magasins/galeries pour exposer et vendre sa production. Pour correspondre à l'appellation "tapisserie d'Aubusson", Coupé ouvre un magasin à Aubusson. On trouve également un magasin Coupé à Argentat en Corrèze et un troisième à Paris qui lui donne toute sa visibilité et lui apporte l'essentiel de sa clientèle.
Cette manufacture évolue dans un contexte de crise de l’industrie de la tapisserie. En effet, lorsque celle-ci est créée en 1905, la tapisserie et le tapis se reposent sur leurs acquis et la majorité des oeuvres qui sortent des ateliers sont réalisées à partir de modèles anciens. Ayant perdu de son prestige et de sa renommée, la tapisserie d’Aubusson ne connait plus la période de prospérité du XVIIIe siècle. On cherche alors à relancer cette industrie séculaire. Si elle emploie plus de 40 personnes dans les périodes de prospérité, elle connait, comme les autres manufactures de la région, plusieurs périodes économiquement difficiles. Le manque de commandes publiques importantes ne permet pas de fournir du travail aux ouvriers et les commandes privées se font rares. De plus, la main d’oeuvre de plus en plus chère et le contexte de crise engendré par les deux guerres mondiales ne permettent pas aux manufactures de rebondir et doivent alors affronter de nombreuses grèves ouvrières et un chômage important.
Participant à des commandes d’envergures ou répondant à des demandes de particuliers, les tapis et tapisseries de cette manufacture sont envoyés aux quatre coins du monde, des Etats-Unis à l’Arabie Saoudite. Cette manufacture connait plusieurs directeurs mais reste toujours une entreprise familiale jusqu’à son rachat en 1969 par Yvon Maingard. Elle ferme définitivement ses portes en 1973. Les cartons qui constituaient alors la base du travail des lissiers sont jetés. Les maquettes quant à elles sont conservées et récupérées par le musée de la Tapisserie d’Aubusson. Ce fonds entre au musée en 1988 après que l’ancien directeur de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs Paul Risch en ait fait un pré-inventaire.
D’une renommée internationale, la manufacture Coupé passe à un oubli presque total alors qu’elle a participé au renouveau de la décoration du XXe siècle tout en luttant dans un contexte de crise qui tend à faire disparaitre les manufactures et les ateliers les uns après les autres.