Peintre-cartonnier nommé au service du Roi à Aubusson, Jean-Joseph Dumons est considéré comme le peintre rénovateur des Manufactures de la ville.
Jean-Joseph Dumons est né à Tulle le 26 mars 1687. Son activité précédant sa nomination de peintre au service du Roi à Aubusson reste encore inconnue. On sait seulement qu’il a été l’élève de François de Troy. Agréé par l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1733, il est reçu peintre d’histoire, le plus haut degré de la hiérarchie des peintres, le 29 octobre 1735. Reconnu par ses contemporains, il est expose régulièrement dans les Salons du Louvre entre 1737 et 1753. Il se retire d’Aubusson en 1755 mais ne cesse pas de travailler pour les manufactures puisqu’il est nommé l’année suivante peintre à Beauvais, où il veille à la conservation des tableaux et à l’enseignement du dessin. Jean-Joseph Dumons s’est éteint le 25 mars 1779, après avoir servi les Manufactures de la Couronne pendant 48 ans.
L’arrivée de Jean-Joseph Dumons à Aubusson marque un tournant dans l’histoire des Manufactures royales de la ville. Nommé par le Roi en 1731, il n’est pas encore académicien. Selon C. Pérathon, Dumons doit cette nomination à Louis Fagon, Intendant des Finances et acteur du relèvement de la Manufacture de Beauvais, où il avait nommé Oudry. Le peintre-cartonnier crée des compositions simples d’une exécution aisée. Il adapte des peintures ou reprend des tentures tissées auparavant à Beauvais. Les tapissiers d’Aubusson accueillent ce mouvement de renouveau avec enthousiasme, eux qui avaient été victimes d’une pénurie de modèles avant 1730.
Entre 1732 et 1753, Dumons dessine vingt tentures pour la Manufacture d’Aubusson et seulement deux pour celle de Felletin. La première tenture qu’il livre, une verdure aux animaux tissée par l’atelier de Pierre Mage, rencontre un immense succès. Selon Laboreys de Châteaufavier, Inspecteur des Manufactures, Dumons aurait été conseillé par Oudry pour cette réalisation. Parmi ses travaux, on remarque Les Grands Rideaux, tenture en six pièces dans lesquelles un rideau s’ouvre sur la scène principale, et une variante de la tenture chinoise de Boucher exécutée à Beauvais, réalisée à la demande du marchand-fabricant aubussonnais Jean-François Picon. La plupart de ces tapisseries appartiennent aujourd’hui à des collections particulières ou sont dispersés dans les collections publiques du monde entier.
D’abord peintre animalier, Oudry a influencé la production aubussonnaise, notamment comme conseil du peintre du Roi Jean-Joseph Dumons, dans laquelle les verdures occupent une place centrale. Ses cartons des Métamorphoses, dont l’originalité réside dans la représentation des personnages transformés en animaux et non pas le processus de transformation, qui n’avaient eu que peu de succès à Beauvais, se sont diffusés en Europe à partir d’Aubusson.
Né en 1686 à Paris, Jean-Baptiste Oudry commence très jeune son apprentissage de la peinture avec son père, peintre et doreur, membre de l’Académie de dessin et marchand de tableaux. En 1719, il entre à l’Académie pour une peinture animalière mais il produit beaucoup et dans différents domaines : le portrait, la peinture d’histoire, les chasses, le paysage, les animaux, les fleurs, etc. Ordre lui est donné en 1728 de suivre les chasses de Louis XV, dont résultera son chef d’œuvre, Chasses royales de Louis XV, un portrait de la meute royale, qui lui vaut d’être nommé adjoint à professeur à l’Académie. Cette peinture deviendra son unique tissage aux Gobelins.
En 1734, Louis Fagon, Intendant des Finances, lui confie la direction artistique de la Manufacture de Beauvais, fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1755. L’administration Oudry permet de redresser la manufacture, qu’il réorganise. Il crée une école de dessin pour les tapissiers et, à partir de 1738, se décharge de la fourniture de cartons, confiée à Boucher et Natoire. Deux ans auparavant, il avait également été nommé Inspecteur des Gobelins pour surveiller l’exécution de ses tapisseries des chasses royales. Il lui est souvent reproché d’avoir asservi la tapisserie à la peinture, passant sous silence le caractère décoratif et textile spécifique à la tapisserie.
Jean-Joseph Dumons, peintre du Roi à la Manufacture d’Aubusson, a puisé dans les œuvres d’Oudry pour réaliser des cartons de tapisseries pour les lissiers d’Aubusson. Bien qu’il ne se soit jamais rendu à Aubusson, Oudry a conseillé Dumons pour la réforme de la Manufacture, exerçant ainsi une sorte de tutelle indirecte sur la production de cartons pour la Manufacture Royale d’Aubusson.
Après 1750, suite aux demandes répétées des tapissiers aubussonnais de bénéficier de cartons différents de verdures, l’administration royale envoie à Aubusson trois séries de cartons d’Oudry : les Amusements champêtres, les Comédies de Molière et les Métamorphoses en animaux. Ces derniers (d’après l’œuvre d’Ovide) sont d’une importance capitale pour la relance de la production aubussonnaise. Ces modèles, qui n’avaient pas obtenu le succès escompté à Beauvais, sont envoyés à Aubusson, d’où ils vont se diffuser à l’Europe entière. Toutes les tentures d’Oudry sont reprises dans les ateliers marchois, écrivant ainsi l’une des plus belles pages de l’histoire de la tapisserie d’Aubusson.
Avec plus de 400 tapisseries originales produites de son vivant, Jean Picart Le Doux est considéré comme un grand maître de la tapisserie d’Aubusson.
Fils du peintre Charles Picart Le Doux, l’autodidacte Jean Picart Le Doux débute dans la reliure et dans l’édition, puis dans les arts graphiques (affiches et couvertures de revues). Il remporte le Grand Prix de l’affiche de théâtre au Salon de l’Imagerie en 1943. C’est alors qu’à la demande du décorateur Jules Leleu, il commence à exécuter des cartons de tapisserie pour la décoration du paquebot La Marseillaise.
De la même génération que Lurçat, il devient vice-président de l’APCT (Association des peintres-cartonniers de tapisserie) et reste très proche des conceptions de Lurçat. Il a en effet le souci d’une tapisserie décorative et accessible à tous, élaborée à partir d’une composition classique et exploitant au maximum les multiples possibilités offertes par la teinture des laines. Les couleurs sont pour lui à la fois des ornements et le moyen de faire éclater les oppositions : le jour et la nuit, le ciel et la terre, l’ombre et la lumière…
À Aubusson, l’atelier Berthaut tisse ses principaux modèles. Ses œuvres tissées mettent en scène des représentations allégoriques (du temps, de l’univers) mais aussi des sujets figuratifs simplement destinés à plaire et décorer (cages aux oiseaux, chaluts remplis de poissons et de coquillages…).
Jean Lurçat (1892-1966) est considéré comme l'artiste emblématique de la tapisserie, qui a su relancer la création aubussonnaise au milieu du XXe siècle.
Après les études du lycée et une première année de médecine, le Vosgien Lurçat entre dans l’atelier de Victor Prouvé, directeur de l’Ecole de Nancy, où il fait son apprentissage de peintre et de fresquiste. Parti à Paris en 1912, il y rencontre des personnes passionnées par l’art : des galéristes, des collectionneurs, des marchands, mais aussi des écrivains et des poètes. Ces années parisiennes façonnent Lurçat. Très actif, il s’implique dans la vie culturelle et politique de son époque, il noue des relations qui seront certainement des atouts pour son succès futur.
Pendant la guerre, au cours d’une période de convalescence due à une blessure, il peint des aquarelles. C’est à ce moment-là que sa mère se met à transformer les peintures de son fils en grands canevas (technique du point à l’aiguille). Entre 1919 et les années 1930, Lurçat confie ses nouveaux tableaux à Marthe Hennebert, son épouse, qui sera interprète et brodeuse pour les canevas suivants. Pour la boutique de Marie Cuttoli, il dessine aussi des modèles, de tapis au début, puis pour une première tapisserie, que Marie Cuttoli (d’origine corrézienne) envoie à Aubusson, dans l’atelier Delarbre. C’est le premier lien entre Lurçat et Aubusson. Mais jusqu’en 1939, Lurçat est surtout connu comme peintre ; il envisage même une carrière aux Etats-Unis, où ses tableaux sont très appréciés.
Tout s’accélère un peu avant la guerre, lorsque le directeur des Manufactures nationales, Guillaume Janneau, qui connaît le travail de Lurçat depuis les années 1920, lui passe une importante commande pour un ensemble mobilier et tapisserie (tissé aux Gobelins).
Il lui confie surtout une mission à Aubusson avec Gromaire et Dubreuil. Avec le soutien et les conseils de quelques Aubussonnais de la profession (Maingonnat, Tabard…), les trois peintres deviennent à Aubusson des "peintres-cartonniers", et ils créent chacun de nombreux modèles, remarqués par la force inédite de leur expression et par leurs gammes de couleurs. Le renouveau de la tapisserie démarre alors et Lurçat en est considéré comme le fondateur.
Émile Gilioli est l’un des chefs de file de la sculpture abstraite d’après-guerre, aux côtés de Brancusi et de Arp. Comme beaucoup de ses pairs, il s’inscrit dans le mouvement de la tapisserie de peintres abstraits.
Né à Paris dans une famille de cordonniers italiens, Émile Gilioli est très vite fasciné par le dessin et le travail des matériaux. Il reçoit une formation extrêmement complète : artisanale dans un premier temps, chez un forgeron italien et dans l’atelier d’un sculpteur spécialisé dans l’ornement des façades et des jardins à Nice, où sa famille s’installe après la Première Guerre mondiale ; puis aux Arts décoratifs de Nice et aux Beaux-Arts de Paris pour suivre les cours d’un atelier de sculpture.
Installé à Grenoble en 1940, il rencontre l’artiste Pierre-André Farcy (dit Andry-Farcy), alors conservateur du musée des Beaux-Arts de Grenoble. Il approfondit avec lui sa connaissance de l’art contemporain et notamment de la peinture abstraite et du cubisme. Inspiré à la fois de la statuaire grecque et de l’ancienne Egypte, et du cubisme, son style lui vaut de réaliser nombre de commandes publiques, destinées, entre autres, à quelques hauts lieux de la Résistance dans la région de Grenoble.
En 1949, il est nommé vice-président du groupe Espace animé par Bloc, Léger et Le Corbusier. Ayant rejoint les "poulains" de la galerie Denise René – qui amène son groupe de peintres abstraits à la peinture de cartons de tapisserie, tissés pour la plupart par l’atelier Tabard –, Gilioli rencontre Raymond Picaud, lissier à Aubusson, et s’essaie à l’art de la tapisserie.
Artiste phare de la sculpture abstraite, Gilioli reste fidèle à ses principes de sobriété, dans la forme et dans la couleur avec la laine : trait ferme et sans ornement, jeu d’oppositions entre masses blanches et noires.
Artiste issu d'une vieille famille aubussonnaise, Élie Maingonnat descend d’une longue lignée de tapissiers. Plus attiré par l'aspect graphique du métier que par le tissage artisanal, il se consacre à la peinture de cartons de tapisseries. Parallèlement à sa carrière de peintre-cartonnier, il a été directeur de l’ENAD (École Nationale d’Arts Décoratifs) d’Aubusson de 1930 à 1958.
Élie Maingonnat joue un rôle important dans la période de renouveau de la tapisserie. Après une rencontre avec Jean Lurçat à Paris lors d’une exposition, il l'invite en 1937 à venir étudier la tapisserie d’Aubusson.
Ses oeuvres, toujours très composées (il a débuté sa carrière comme professeur de dessin), sont liées aux scènes de la vie rurale qu'il observe dans les villages autour d’Aubusson. Peintre du dehors, ses sujets favoris sont la végétation et la faune du Limousin. Ses modèles sont le fruit d'une exploration régulière et attentive de la nature, des paysages et des sous-bois. La Creuse, Le Thaurion (ruisseau du département), Aubusson, Les Fougères, sont des titres révélateurs. Les bordures des tapisseries qu'il dessine sont souvent animées de motifs animaliers typiques des forêts limousines (blaireaux, belettes, hermines ou huppes).
Amené à la tapisserie par Jean Lurçat, cet artiste atypique (un moine) profondément inspiré par la contemplation de la nature est l’un des peintres-cartonniers les plus féconds et les plus admirés du XXe siècle…
Après un difficile passage au collège des jésuites de Poitiers, Dom Robert (né Guy de Chaunac-Lanzac) suit des cours aux Arts décoratifs de Paris. Il entre à l’abbaye bénédictine d’En Calcat (Tarn) en 1930, grâce à ses relations avec le philosophe Jacques Maritain et le compositeur Maxime Jacob, étudie la philosophie et la théologie et est ordonné prêtre en 1937. Il se remet alors à dessiner et à peindre.
Lorsque Jean Lurçat, de passage à En Calcat, découvre les aquarelles et enluminures du moine, l’originalité et la puissance de ses œuvres le frappent ; il persuade Dom Robert de venir à Aubusson et de se mettre à l’art du peintre-cartonnier.
A partir de 1941, date de son premier carton (pour le tissage de L’Eté, à l’atelier Tabard) et jusqu’en 1993 (avec Chèvres du Larzac, à l’atelier Goubely), Dom Robert consacre la majeure partie de ses travaux artistiques à la tapisserie, et son travail est reconnu dès ses premières œuvres. Le lissier François Tabard le met en relation avec Denise Majorel et la galerie La Demeure, à laquelle il reste fidèle toute sa vie, et il ne s’arrête plus de produire.
Pendant 50 ans, la vie de Dom Robert est faite d’observation de la nature, d’esquisses, de dessins, d’élaboration de cartons, de traduction numérotées des couleurs, de suivi des tissages dans les ateliers d’Aubusson.
Dom Robert garde de ses travaux d’enluminures le goût de la couleur, le souci du détail, de l’ornementation. Il avance à petites touches, un motif après l’autre, ajoutant çà et là une ombelle, un cerf ou un papillon, dans des œuvres toujours luxuriantes et vives :
« Dans une tapisserie, on se promène, on flâne. Un détail vous conduit à un autre, un rouge mène au bleu. […] Pour faire court, disons que la peinture est un art d’espace tandis que la tapisserie est davantage un art du temps. »
Son incroyable fécondité a donné une collection de tapisseries dont le succès ne se dément pas, si l’on en croit le nombre de visiteurs attirés à chaque exposition Dom Robert.
Antoine Jorrand, né à Aubusson, fait ses études à Bordeaux, puis entre à Paris dans l’atelier de Jean-Paul Laurens. Il s’oriente vers les cartons de tapisseries, expose au Salon des Artistes français, puis prend la direction artistique de la manufacture familiale à Aubusson.
Les productions d’Antoine Jorrand, rattachées à une période allant la fin du XIXe siècle, vers 1890, jusqu’à 1914 environ, sont très significatives. Elles illustrent les premiers efforts d’artistes pour dégager la tapisserie de l’imitation de la peinture et surtout des modèles du XVIIIe siècle, copiés et recopiés. Antoine Jorrand, élève de Jean-Paul Laurens, ami de Bellery-Desfontaines, disciple d’Henri Martin, cherche dans ses cartons de tapisserie à retrouver l’aspect décoratif et monumental de la tapisserie ancienne ; il se passionne pour l’architecture et la décoration médiévale.
Ses créations, régulièrement exposées dans divers Salons et à l’Exposition universelle de 1900, montrent le même univers poétique et mystérieux où de longues silhouettes féminines à chevelure ondoyante évoluent parmi une végétation touffue et fleurie. « La tapisserie, ce doit être une fable ou une légende accrochée au mur », écrivait cet artiste mystique, proche de la nature et passionné par les récits imaginaires du Moyen Âge. L’influence de l’Art Nouveau se remarque surtout dans les bordures de ses modèles, souvent très ornementales. Le musée possède une pièce de Jorrand, La Fée des Bois, datée 1911 ; tissée à la manufacture Croc-Jorrand-Danton, entreprise familiale dont Antoine Jorrand était devenu directeur artistique, c’est aussi une pièce d’archive. Le carton peint de cette oeuvre existe dans une autre collection d’Aubusson, celle de l’Ecole Nationale d’Arts Décoratifs.
Au début du XXe siècle, la manufacture Danton a remplacé l’ancienne filature Croc-Richen au bord de la Creuse, à l’entrée de la rue des Tanneurs. Très active avant la guerre de 1914-1918, elle emploie alors une centaine d’ouvriers de basse-lisse confectionnant des tapisseries ou du mobilier. L’usine dispose de sa propre teinturerie au bord de la rivière, de magasins de stockage des laines et d’ateliers situés dans les étages.
Elle est dirigée à cette époque par Frédéric Danton, apparenté à la famille Jorrand. Personnage atypique, il fut à la fois manufacturier, homme politique, agriculteur ou encore mécène. Outre la direction de la fabrique de tapisseries d’Aubusson et d’ateliers à Bellegarde, il dirigea pendant quelques temps une fabrique de céramique qui, située dans le quartier du Got Barbat, donna quelques pièces remarquables. Conseiller général d’Aubusson dès 1910, vice-président de la Chambre de Commerce et d’Industrie, il ne put cependant jamais prétendre à une carrière politique nationale échouant par trois fois, entre 1912 et 1919, lors des élections législatives. Il resta donc très investi dans la vie locale, comme membre du conseil des Prud’hommes ou du comice agricole du canton d’Aubusson étant propriétaire d’une grande exploitation sur la commune de Saint-Alpinien d’où était originaire sa famille ou comme fondateur de la société d’horticulture de l’Arrondissement. Touche-à-tout, il fut également le mécène de l’aviateur champagnatois François Denhaut dont il finança les essais du 3e prototype, appareil dénommé "le Danton".
Malheureusement, les difficultés des années 1920 l’obligèrent à fusionner avec les établissements Croc-Jorrand pour former une seule entité dont la raison sociale était "Aux Fabriques d’Aubusson". Cette société, dont le siège social était installé à Paris, au 13 rue Lafayette, avait un capital de 4 à 5 millions de francs et employait encore quelques 235 ouvriers. Mais la crise économique eut raison de l’entreprise qui fit faillite en 1932. Frédéric Danton ne le vit pas puisqu’il mourrut le 03 juin 1929 à son domicile parisien situé au 23 Rue Richelieu.
L’usine fut ensuite démolie pour laisser place à la Poste actuelle à partir de 1956.
D'après un texte de Romain Bonnot, professeur d'histoire-géographie à Aubusson.
L’Atelier Tabard, du fait de sa grande longévité, est le reflet des évolutions de la production aubussonnaise de tapisseries. Delphine Quéreux le souligne dans sa thèse: "(…) à travers l’histoire de l’atelier Tabard, (…) c’est l’ensemble de l’histoire de l’industrie de la tapisserie qui transparaît : les débats esthétiques qui agitent Aubusson, mais aussi l’organisation de la production, très artisanale, ainsi que la vente."
Bien que l’histoire familiale et professionnelle des Tabard s’inscrive dans la longue durée, c’est la troisième génération, représentée par François Tabard, qui a marqué de façon durable la production aubussonnaise de tapisserie.
François Tabard, un entrepreneur de premier plan dans la rénovation du XXe siècle
1937 constitue une année charnière pour l’Atelier Tabard : c’est le moment de la rencontre avec Jean Lurçat, qui va permettre de renouveler la production à une période où Aubusson prend conscience qu’un effort esthétique doit être fait pour relancer les ventes. Il ne suffit plus de produire des copies d’anciens mais de créer de nouveaux modèles.
Avec le carton Moissons, pour lequel Jean Lurçat met au point le principe du carton numéroté, une collaboration étroite et régulière, bien que non exclusive, commence. L'artiste devient rapidement le principal collaborateur de l’Atelier Tabard, jusqu’à sa mort en 1966 : il est l’auteur de près de la moitié des 4500 panneaux modernes fabriqués entre 1935 et 1983.
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, François Tabard prend la décision d’orienter toute la production vers la tapisserie moderne. Pour appuyer cette nouvelle orientation, il intervient en faveur de la création d’un atelier-école à Aubusson dans le but de former des professionnels spécialisés dans ce type de tapisseries reprenant les formules simples du Moyen Âge. En 1950, cet établissement sera fusionné avec l’École Nationale d’Arts Décoratifs de la ville.
L’Atelier Tabard, porteur d’une vision moderniste pour Aubusson
L’Atelier Tabard a fait preuve d’un grand activisme au niveau local pour unir la profession. En 1933, une chambre syndicale des fabricants de tapisseries est créée, dont la présidence est confiée à François Tabard. Également Président de la Chambre de Commerce de Guéret, il devient le porte-parole de l’industrie de la tapisserie auprès des pouvoirs publics.
Parallèlement à cela, l’Atelier Tabard a su renouveler les méthodes de travail pour faciliter l’insertion d’Aubusson dans de nouveaux circuits commerciaux, essentiellement basés sur l’artiste et la galerie. La galerie est, selon les cas, un simple intermédiaire de vente, à l’instar de La Demeure de Denise Majorel, ou éditeur de la tapisserie comme la Galerie Denise René. Cette dernière, en exclusivité avec l’Atelier Tabard, édite, pendant plus de 20 ans, des noms prestigieux de l’art contemporain comme Victor Vasarely, Jean Arp ou Sonia Delaunay.
Avec Victor Vasarely, l’Atelier Tabard développe le principe du carton photographique, une révolution dans les méthodes de travail aubussonnaises. Ces évolutions modifient profondément les relations entre l’artiste et le fabricant. Ce dernier doit assumer un rôle nouveau de collaborateur de créateur alors qu’il est en partie dépossédé de sa traditionnelle activité commerciale.
Une solidarité familiale très forte au fondement de l’entreprise
Les Tabard sont une très vieille famille de tapissiers : dès 1637, des membres de la famille se dédient à la production de tapisserie. Cependant, ce n’est qu’en 1869 que François Tabard, le grand-père, crée son atelier, duquel sort une production de second ordre. Son fils, Léon, qui reprend l’entreprise familiale, installée à La Terrade à partir de la fin du XIXe siècle, se fait déjà le porteur d’une volonté modernisatrice. Étant donnée la difficulté de trouver des créateurs, il s’est appuyé sur le dessinateur de l’atelier, Élie Maingonnat, lui aussi défenseur d’une vision moderne de la tapisserie et qui deviendra le Directeur de l’ENAD d’Aubusson, succédant à Antoine-Marius Martin.
Bien que l’on retienne généralement le nom de François Tabard, Léon avait cédé l’entreprise familiale à ses quatre enfants, dont les rôles sont toujours restés les mêmes : Clémence s’occupait de la comptabilité et des écritures, Paul des teintures et des ateliers, Marie-Antoinette des activités de restauration et François de la prospection commerciale. Léon Tabard a ainsi posé les structures qui ont permis à son fils François de participer activement au renouveau de la tapisserie d’Aubusson dans la deuxième moitié du XXe siècle. En l’absence de descendance et de repreneur, l’Atelier Tabard a définitivement fermé en 1983.
L’histoire de l’Atelier Tabard est le reflet de la situation générale de l’industrie de la tapisserie aubussonnaise, notamment sa difficulté à trouver de bons modèles – malgré des périodes de grandes réalisations – et sa perméabilité aux phénomènes de mode, qui tend à entraîner des crises au moment des nécessaires reconversions.
Texte d'après Delphine Quéreux, "Les Tabard, fabricants de tapisserie à Aubusson de 1869 à 1983", Paris : École Nationale des Chartes (3 vol., 704 p. et un volume n.p.). Disponible en consultation au Centre de documentation de la Cité de la tapisserie.